#anthologie #40 | Hypothétique trajectoire.

1. On pourrait dire que l’auteure c’est moi mais il en découlerait aussitôt que je saurais exactement qui est ce moi et que ce que j’écris vient du plus profond de moi-même, donc d’une vérité unique, donc sans mensonge et que tout serait indiscutablement vrai ; et si tout cela était ce que je suis profondément, il me faudrait alors assumer cette personne, accepter que je suis ce que j’écris et que les mots inscrits noir sur blanc sont un portrait craché et véridique, un miroir indéformable ; mais, dans le fond, que sais-je véritablement de ce moi ? 2. On pourrait dire que l’auteure est un moi inconscient qui s’empare de mon corps pour écrire de ce dont je n’ai pas conscience et que je me découvre au fur et à mesure que les mots s’inscrivent, mais d’où vient cet inconscient; comment puis-je le ressentir, le maîtriser ; de quelle partie de mon corps ou de mon esprit vient-il et pourquoi l’appelle t’on inconscient ; est-il plus vrai que mon moi que je vis au quotidien ou bien s’empare-t-il de ce que je suis pour se manifester et me transformer ; et pourquoi mon inconscient ne serait-il pas mon conscient; et si c’est mon inconscient qui écrit alors qu’est ce que mon conscient écrit ? 3. On pourrait dire que c’est un personnage éloigné de mon vrai moi, un personnage que je me suis inventé, un personnage que j’ai écris et qui écrit à son tour mais la véritable question serait : est-ce qu’il écrit comme lui veut écrire ou bien écrit-il comme moi j’ai imaginé qu’il écrive ? 4. On pourrait dire que l’auteure est l’exact contraire de moi, que tout ce qu’elle écrit est totalement à l’opposé de ce que je pense et ressens et que c’est pour me repousser dans mes retranchements que je l’utilise ; cette idée supposerait que je ne vivrai pas en adéquation avec moi-même et que j’aurai besoin que mon contraire me pousse, me tire, m’extrait de ce moi que je vis. 5. On pourrait dire que ce sont les multiples voix qui sont en moi qui s’expriment au fur et à mesure des propositions ; il serait peut-être intéressant d’en faire jaillir une et une seule pour écrire une multitude de textes mais comment savoir laquelle choisir ? 6. On pourrait dire qu’il y a certains textes où pointent une forte sincérité proche du réel et d’autres où la fiction est beaucoup plus présente et donc éloignée d’une certaine authenticité mais si je dis ces mots, j’insinue que la fiction n’est pas vraie et cette affirmation est à mes yeux, indubitablement, un mensonge ; mais qui peut prétendre que tout ce que l’on vit ou écrit est la réalité, peut-être que ce sont nos mensonges, nos faux-semblants qui sont l’expression du vrai ? 7. On pourrait dire que mon écriture est l’idéal de moi-même et que tout le reste est l’insupportable fardeau, corps et visage, à porter tous les jours ; si je dis porter et insupportable cela induis que je suis un poids lourd mais est-ce que les mots écrits sont légers ; l’écriture n’est-elle pas un poids ? 8. On pourrait dire que je ne suis réellement qu’une autrice mais que je n’ai jamais osé ou su l’assumer et qu’il me faut vivre d’autres vies que je ne souhaite pas particulièrement ; et si dans le fond, je n’étais rien de tout cela et que je ne faisais que me raconter des histoires dont celle-ci ? 9. On pourrait dire que quelque chose m’échappe lorsque j’écris ces textes et que ce que je lis me plait, comme une amie que j’aime à rencontrer ; cette hypothèse est belle parce qu’elle m’invite à m’aimer et que c’est doux. 10. On pourrait dire que celle qui écrit ces textes ici n’existe nulle part ailleurs.

1. Ce sont des fluctuations d’écriture qui se cherchent, certaines sont contraires et d’autres se rejoignent déjà à certains endroits. 2. Il y a un mouvement d’écriture autour du mot amour qui peut-être creusé, interrogé, poursuivi. 3. Il y a une forme d’intimité qui sort de ces textes. 4. Il y a une multitude de pistes à explorer, chaque texte peut en devenir un début. 5. Il y a la possibilité d’écrire sur le thème de la famille mais il faut trouver la bonne porte d’entrée, celle d’une tierce personne qui ne veut pas être là ou à partir de la photo que l’on n’a pas de quelqu’un d’absent, est intéressante. 6. On pourrait dire que ce sont des textes qui sont en mouvement, rien n’est mobile ou défini. 7. Il n’y a pas une seule direction qui rejaillit comme une évidence, ces textes demandent réflexion, imposent un choix. 8. Ces textes peuvent être laissés ainsi non pas comme un abandon mais comme une écriture intouchable.

  1. Ces textes pourraient se transformer en livre et à chaque fois que quelqu’un l’ouvrirait, des mots s’envoleraient dans le ciel bleuté. 2. Ces textes pourraient être lus à voix haute devant un public qui n’entendrait pas. 3. Ces mots pourraient être dansés au clair de lune en pleine forêt parmi des biches et des chevreuils. 4. Ces textes pourraient être écrits sur tous les murs de la ville et quiconque s’arrêterait pourrait les lire. 5. Ces mots pourraient s’inscrire sur mon corps jour après jour en commençant par la première page jusqu’à la dernière, il faudrait donc me lire. 6. Ces textes pourraient être prononcés à la télévision ou à la radio comme des encarts publicitaires et tout le monde s’en souviendrait. 7. Ces textes pourraient devenir un hymne à l’amour et les amants s’en envelopperait.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

9 commentaires à propos de “#anthologie #40 | Hypothétique trajectoire.”

  1. merci pour toutes ces pistes ouvertes…
    je retiens moi aussi le ciel bleuté et les chevreuils dans ta forêt…

  2. J’aime la façon dont l’auteure se cherche et ce qui se dessine, ce qui se trouve à mesure de la recherche. Et j’aime aussi beaucoup l’idée qu’il faut te lire, sur le corps, pour te lire (ou inversement).

  3. Le dernier 5; m’a fait penser à L’homme Illustré de Bradbury, et au Queequeg de Melville. Belles figures tutélaires.
    Merci JM

  4. tous ces possibles, ces questions regardées en face; ce que j’aime en te lisant l’impression que tu n’esquives pas. Des bêtes qui dansent des mots dans la forêt ( près de Moret?) comme un rêve d’enfance, c’est beau . Merci Clarence

  5. J’aime vraiment beaucoup la première partie, c’est très intéressant dans la lecture sérieuse que l’on peut en faire mais aussi très drôle comme accumulation d’hypothèses s’engendrant les unes les les autres! Ça me fait penser à de la musique répétitive qui creuse qui creuse et qui avance. À te lire dans les 40! Merci!

  6. Lu le PDF, belle lecture, les textes s’enchaînent en douceur, d’ailleurs beaucoup de douceur dans le tout. « Ma peau creusée par les lignes de vie» dit la narratrice, comme un sous-titre. Merci Clarence, au plaisir de se recroiser dans un autre atelier.

  7. soi, moi l’autre ce discours pluriel en soi-même quelle densité, il me faut le relire merci Clarence