L’auteur de ces lignes chercherait à habiter le monde. Il ne dormirait pas deux nuits de suite au même endroit, il irait moitié cheminant, moitié assis, continuant à écrire, usant de tout moyen pour arriver plus loin. Il verrait la terre en ligne droite, jusqu’au prochain tournant, il aurait du mal à envisager la globalité, il sauterait volontiers d’un point à un autre…
à moins qu’il ne s’agisse d’une des divinités qui habitent les lieux, dryades, hespérides, naïades ou ondines, une cousines des muses…
à moins qu’il ne s’agisse des dieux du garde-manger, que l’on nomme pénates, et qui rêvent à leur tour de parcourir le monde, eux qui ne voient d’ailleurs, au milieu des œufs, de la farine, des oignons et des pois chiches, que de rares grains de riz et un flacon d’huile d’argan décoré de chevrons bleus sur sa surface de terre cuite…
ou peut-être encore vivrait-il, cet auteur sans identité fixe, aux passeports changeants, à l’apparence de femme, ou d’homme, c’est selon, vivrait-il dans un entre-deux, un lieu de nulle part, j’ai nommé un train roulant, il aurait, ou elle, un compartiment à demeure, pour y passer la nuit, et à chaque terminus il travaillerait à mi-temps toute la journée à deux projets distincts, qui n’auraient rien en commun, et chacune de ses vies ignorerait l’autre, et les personnes qui peupleraient ses journées, un jour sur deux, ne sauraient rien de plus, et la vie serait devenue monotone, sur deux rails aller-retour, que son aspiration la plus chère serait de suivre au hasard des sentiers de traverse, des chemins tortueux, des clairières, des landes…
et ces lignes, assemblées parfois en quelques paragraphes, formeraient une carte inachevée, un monde où les terres inconnues occuperaient la plus grande partie de la carte, le lien entre les lieux restant à inventer, bien que quelques pointillés commenceraient à les relier, comme des voies de chemin de fer, comme des routes de caravane au milieu du désert, ou de paquebot au milieu de la mer, mais la vapeur aurait effacé des indices, et l’épaisseur du temps serait difficile à discerner, mais puisqu’à tout instant un lieu un jour fréquenté peut ressurgir tel quel, et qu’à tout autre instant un lieu toujours reconnu peu s’écrouler et se perdre, le temps, sans disparaître tout à fait du récit, deviendrait une possibilité, une supposition, une simple hypothèse…
et si le temps devient si flou, les personnages aussi peuvent devenir des silhouettes, des bergers d’Arcadie sans personnalité définie, et les lignes s’écriront à la troisième personne…
et les lieux devront s’organiser eux-mêmes pour se trouver un ordre…
il n’y a plus de dieux…
il n’y a plus de livre vraiment non plus, la couverture n’a rien laissé de plus qu’une trace brunâtre sur les feuillets tirés du feu, et en place de la légende, un trou dans la géographie, il se pourrait bien que le livre ait subi une chute, ait atterri d’un univers lointain où les lieux se superposent, se rejoignent, finissent par s’empiler, tous, au même endroit.
Merci Laure pour ce voyage et toutes ces pistes qui pourraient être suivies ou non, pour ce bouillonnement de qui est l’auteure que j’ai aimé, et à bientôt dans nos écrits. Baisers.
« et ces lignes, assemblées parfois en quelques paragraphes, formeraient une carte inachevée, un monde où les terres inconnues occuperaient la plus grande partie de la carte, le lien entre les lieux restant à inventer, » : matière à rêver comme ce trou dans la géographie. Merci Laure pour l’invitation au voyage dans l’espace et dans le temps avec ce livre « tombé « .
vraiment beaucoup aimé…
le développement, la quête, les dieux, et puis plus rien que ce « trou dans la géographie »