#anthologie #40 | comment s’en sortir ?

Premier registre : l’auteure à l’aveuglette

Avertissement : je me souviens du jeu des Papous dans La Tête qui passait sur France Culture le dimanche à 13h.   L’émission se terminait parfois  par un jeu qui s’appelait le Diagnostic Littéraire à l’Aveugle et je ne suis pas peu fière de dire que je trouvais presque deux fois sur trois l’auteur.trice du texte en jeu et ce, sans véritable méthode critique. J’ai lu des livres mais pas tant que cela – je n’ai jamais été une enfant « dévoreuse de livres » et si j’ai été un  « rat de bibliothèque » c’est surtout pour le lieu lui-même qui me permettait d’échapper à l’atmosphère pesante qui régnait dans ma famille. Pendant longtemps d’ailleurs, je n’ai pas eu conscience de « comment cela s’écrivait ». Mais il faut croire que les livres petit à petit par les résonnances qui naissent de leur fréquentation ont tissé à mon insu un « savoir- lire », une compréhension intuitive de leur trame invisible, une perception instinctive de leur voix discrète.

Donc, par jeu, voici mon DAL :

Hypothèse 1 : Par l’utilisation de l’accord au féminin, nous pensons que l’auteur (et narratrice) est une femme. Elle a beaucoup voyagé (New York, Chine, Rome, Sud de la France, Sénégal) et porte une attention particulière aux détails sensoriels du monde naturel (la forêt de Fontainebleau, des cerisiers en fleurs, les martinets, un tigre). Elle pourrait être américaine mais vit en France. C’est sûrement une promeneuse.

Hypothèse 2 : On note aussi dans les textes la convocation fréquente de moments historiques (l’élection de François Mitterrand en 1981), des objets (un sac quetchua, une sanguine de Léonor Fini), des slogans publicitaires (Lavé avec Mir Laine ?). L’auteure aime la culture populaire et la mémoire collective française, en particulier des années 1970 et 1980 : c’est sans doute une sociologue à la petite semaine ou plus sûrement une quinquagénaire.

Hypothèse 3 : Elle semble aussi s’intéresser aux non-dits et à l’incommunicabilité mais avec une certaine légèreté. Elle a sûrement suivie une psychanalyse.

Deuxième registre: qu’est ce qui se cherche là?

Les textes produits cet été 2024 manquent d’un « cœur » évident. Certaines pistes sont vite abandonnées (l’accident de voiture, une invitée indésirable) : elles sont le fruit probable d’événements vécus pendant le temps de l’écriture mais qui n’ont pas laissé de traces sensibles. Certains textes, les deux tiers à mon avis, sont médiocres voire franchement mauvais. Si on sélectionne les textes lisibles (le « bon » tiers), on note quelques préoccupations récurrentes :

Hypothèse 1 : la narratrice rapporte des souvenirs de son enfance à la fin des années 70 mais ceux-ci reviennent comme pures expériences sensorielles détachées de toute émotion. Insaisissables dans leur totalité, ils ouvrent la possibilité de les inscrire dans une mémoire collective française des années 70-80.

Hypothèse 2 : A tort ou à raison, le thème de prédilection de la narratrice c’est d’explorer la solitude comme manière d’exister. C’est ce qu’elle connait le mieux. Ses observations sur la fragilité humaine et les formes de résistance psychologique dans un monde indifférent ou hostile se révèlent étonnamment amusantes, entre mélancolie douce-amère et verve comique.

Hypothèse 3 : témoin de la marche du monde (notamment par les longs voyages), la narratrice oscille entre le désir de comprendre, d’intervenir et un sentiment d’impuissance. On sent une inspiration taoïste dans sa recherche d’un fatalisme tranquille.

Troisième registre : quel prolongement pourrait unifier ces textes ?

C’est l’impasse ! Très en retard tout au long de ce parcours, l’auteure n’a pas suffisamment réfléchi et travaillé sur les transitions entre les textes et se retrouve donc devant les pièces d’un puzzle éparpillé. La vraie difficulté est d’éviter l’artificialité de ce qui pourrait unifier ces contributions.

Hypothèse  1 : La vie de la narratrice sur une quarantaine d’année serait l’élément unificateur. Voici l’idée générale : « condamnée »  depuis l’enfance à la solitude, la narratrice en ferait une manière d’exister pour saisir toute la complexité du monde. Ce serait un récit à la troisième personne (ou à la première), chronologique où chaque chapitre serait marqué par des moments de l’histoire contemporaine de la France (une petite bascule politique, économique ou sociale) qui introduirait des personnages secondaires. La difficulté sera de créer une tension suffisante dans le cheminement de la narratrice.

Hypothèse  2 : La structure du récit serait construite autour de deux personnages antagonistes dans leur manière d’être au monde avec pour contexte l’histoire contemporaine de la France. Deux sœurs ?

Quatrième registre : d’où vient ce livre sans couverture ?

Ce livre s’appuierait sur diverses sources documentaires car l’auteure n’invente jamais rien. Au mieux, elle fait « fictionner » le réel.

Des carnets et journaux intimes, mémoires, témoignages, conversations,

Des livres d’histoire et géographie,

L’actualité et la culture populaire (émissions de TV, films publicitaires, couvertures de journaux, hitparades),

Une bibliographie intime : la fameuse « sentimenthèque » de Glissant (de mémoire) proposé par François Bon pour se donner du courage.

PS : Je suis contente d’être parvenue au bout de ce périple grâce aux textes de présentation et d’appuis et l’aide des autres participants qui ont éclairé par leurs contributions les sens possibles des pistes proposées. J’ai bien saisi et admis qu’il y a des trucs que je ne sais pas faire (les deux tiers des propositions) et que par conséquent, je n’aime pas faire : les descriptions fouillées, les jeux de langage poétique, les développements à la limite de l’abstraction. Je ne me sens pas à l’aise dans ces formes d’expression qui me font sentir lourde et pataude. Mais je suis d’accord pour essayer même si c’est au prix d’un certain inconfort et d’un sentiment d’échec. Donc merci François !

A propos de Geneviève Flaven

Je suis née à Paris en 1969. En 2001 à Nice, j’ai fondé une agence de conseil en design puis suis partie à Shanghai pour développer mes activités. Le départ en Chine m’a mené vers l’écriture et la publication. Depuis mon retour en France en 2019, je me consacre à la création et à l’animation de projets collaboratifs de théâtre documentaire en France et dans le monde. Théâtre : The 99 project (http://www.the99project.net/ ) Blog de mes années chinoises : Shanghai confidential (https://shanghaiconfidential.wordpress.com/)

Laisser un commentaire