Courrier adressé aux éditions G. Milliard
Le docteur Edmund Freund décédé il y a une semaine avait fait parvenir aux éditions G. Milliard un recueil de nouvelles, inspirées des entretiens psychanalytiques quotidiens menés à son cabinet pendant un peu plus d’un mois avec un de ses patients.
Ce tapuscript d’environ soixante pages, intitulé Vies Tranquilles, est composé de quarante textes à dominante biographique n’hésitant pas à utiliser certains canons de la littérature contemporaine, tels le courant de conscience ou le rejet de la construction romanesque classique. Les techniques d’inventaire, notamment les « états des lieux », la recherche constante d’un réel fait des détails de la vie quotidienne, le fil conducteur qui évoque notamment un personnage témoin d’événements historiques – guerre d’Algérie ; événements de mai 1968 – rendent ce recueil à la fois concret et ouvert sur les courants artistiques de son époque. Les influences revendiquées ici et là, de Nathalie Sarraute, Michel Butor, Claude Simon, Robert Pinget, Georges Perec, James Joyce et bien d’autres assurent à l’ouvrage une ossature formelle solide et diverse.
On peut s’interroger sur le rôle qu’Edmund Freund a pu jouer lors des entretiens pour faire émerger un inconscient qui remonte chez ce patient jusqu’à sa… naissance. A cet égard, l’expression utilisée par l’auteur ou son analysant : « quelque chose plutôt que rien » pour décrire les premières sensations d’un nouveau-né dépourvu du langage nous paraît particulièrement heureuse (!).
Ce recueil nous semble toutefois poser un certain nombre de problèmes déontologiques. Tout d’abord, le patient (s’il existe) savait-il que les entretiens étaient enregistrés ? Est-ce une pratique courante en psychanalyse ? Si oui, avait-il donné son accord pour en faire une source d’inspiration littéraire ? A-t-il relu les textes et approuvé leur contenu ? Si oui, y-a-t-il eu contrat entre les deux parties ? Certains tiers évoqués dans les textes sont-ils vivants, quelles peuvent être leurs réactions ? ou celles de leurs ayant droit ?
Nos conclusions sont donc de remettre ce recueil dans les mains de Maître Maître pour analyse des aspects déontologiques et légaux d’une telle œuvre. C’est en connaissance de cause complète que votre comité de lecture devra prendre sa décision.
Signé Charles Gaston Jung Consultant