Au moment de classer, de ranger, de trier, de créer collections, une image fait tout voler en éclats : c’est une petite fille à qui son père a laissé un coin de terre dans le jardin pour qu’elle apprenne elle-même à le cultiver. Elle a déjà observé travail, graines, soins, rôles tenus par le ciel, le jour, la nuit, la saison, les cultivateurs. Sillons à tracer pour espacer les plants. Elle essaie à son tour, ça donne un jardin miniature réussi, elle obéit aux règles du jeu. Ses frères aussi. Un jour, elle comprend que ce jardin bien appliqué n’est pas le sien. Décide de mélanger graines, légumes et fleurs, juste pour voir ce que ça donne. Elle bouture au petit bonheur, ajoute, retire, parce qu’avant, ce n’était pas assez sauvage, pas assez libre. Tout pousse, les herbes dites mauvaises trouvent leur place, radis côtoient primevères, capucines, poireaux et pivoines font ce qu’ils peuvent, et dans ce fouillis, l’inattendu surgit aussi : pois de senteur venus d’ailleurs, maïs aux grains multicolores, violettes et ciboulette dialoguant. Elle enracine les premiers mots, ceux qui finissent par sortir du silence. Pousse elle-même. Pêle-mêle : champs, sépultures, villes, lieux-clés. En fin de compte, essaie de rendre lisible le fouillis. Champs : au-delà du Puits-Carré, hors du domaine, l’odeur du blé rejoint le rêve. Vus d’avion, damiers du retour, géométrie des récoltes possibles. Hectares épis Granges, sur le plateau. Fête de la moisson, bouquets d’épis et de coquelicots offerts à maman. Sépultures : Harrow on the Hill, cimetière anglais, pelouses et arbres assortis, au pied desquels on peut s’asseoir pour lire parmi les tombes, par cœur Tyger tyger burning bright in the forest of the night, what immortal eye or hand could frame thy fearful symetry. Cendres et poussière, recueillies quelque part dans les catacombes, et dispersées non loin de l’endroit où l’auteur a fait ses classes. Cimetière juif de Varsovie : stèles anciennes et plus rien dès 39. A part la statue de Janusz faisant corps dans le métal avec les enfants qu’il accompagne jusqu’au bout, tendu vers une destination dite inconnue. Camp immense, impensable, et la Vistule. Jardin des cendres répandues. Tout est gris et la forêt avoisinante aussi. Cimetière Reims Sud. On se perd dans les allées. Pour retrouver la tombe de grand-père assassiné, repères : fronton des caves de la Veuve, et un if particulier. Plougoulm : le clocher veille comme phare désignant terre et mer. ; arcs-boutants détruits par Ciaran ; le granit de la pierre tombale ne craint rien. Stèles avec liliums dans la campagne près de Kihoharu. Secrètement enterrés dans une boite à chaussures capitonnée, près du mur d’un cimetière, les gémeaux, morts avant de naître. Villes : Unna-Massen, camp de réfugiés ayant largué les pays de l’Est. Toi avec eux. Londres : grand parc traversé avec un franciscain qui va quitter l’ordre. Cités : beaucoup. Banlieue, le spectacle et la chanson qui l’ouvre : bon ou mauvais lieu, dis-moi qui dit mieux. Kiyoharu : îlot, copie conforme de la Ruche, au centre de l’archipel. Petit logement Budapest, quand hurlent les sirènes des voitures de police en pleine nuit. Venise : fiole de verre ultraléger offerte par la femme qui guide les adolescents dans les venelles inconnues pour leur épargner la voracité des touristes. Parfum des gâteaux de carnaval, orange flottante. Habitacles des voitures : être emmenée, conduite ou conduisant, libre de rêver la route. Cette fois-là, Bouillon, tout en haut et les citadelles. Lieux-clés : frontière invisible entre le domaine et Tournan. Penne-d’Agenais, la pente de Crève-cœur et le puits des hérétiques. Peyrepertuse : déploiement pierreux, et la nouvelle inédite qui porte le nom du lieu. Fagnes belges : le froid fige encres exposées, tourbe millénaire, et visage aimé. Quartier latin : impossible d’en effacer les signaux enfouis. Helsinki : port d’où embarquer, et quitter la pédagogie. Ouessant, loin devant : voix du quai, vent et roches déchiquetées. Murs : refuge brûlant du peintre. A Fiesole : villa des étudiants, le voyage que tu t’offres en travaillant dans un restaurant pour ne rien avoir à demander à personne. Salle Ovale et rotation infinie livres et vies. Ici-même, nuit tombée sur le jardin emmêlé, au parfum de sel.
2 commentaires à propos de “#anthologie # 39 | pêle-mêle”
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
quel beau texte (à ne pas démêler) Merci
Beau texte oui, fourmillant, dépaysant