Tu aimais parler, tu as aimé téléphoner.
Dès que possible, tu as fait installer le téléphone, dans le salon, sur une tablette en bois, face au trumeau, et ainsi tu pouvais te regarder en parlant. Ce reflet de toi auquel tu t’adressais, qui te renvoyait tes mimiques, t’est-il arrivé de la prendre pour l’autre? Ne plus savoir qui est soi qui est l’autre. Tu parles, tu parles, tu te recoiffes, tu parles. Parfois il n’y a personne au bout du fil. Plus tard, un répondeur. Tu lui parles au répondeur, l’engueules. Tu as bien compris le message pour qui te prend-il? Cinq fois que tu l’entends, cinq fois que tu rappelles. À chaque fois, le ton monte un peu plus, tu finis par lui raccrocher au nez à cet imbécile qui te dit toujours la même chose, qui n’est ni ta fille ni une machine, mais une personne tierce, la voix du téléphone. Souvenir des standardistes qui sait, des demoiselles du téléphone. Des demoiselles, forcément. Comme les speakerines, plus tard. Les relais de la voix des autres. Celles qui tiennent le micro, le téléphone. Tu y parles toi dans cet appareil, tu lui parles. Depuis le même lieu, dans le même combiné gris, avec fil qui s’entortille, cadran, faire tourner avec l’index, opération sérieuse, il faut veiller à ce que le doigt termine bien son tour, pour être assuré d’entendre la bonne voix.
Des coups de téléphone. Tes coups de téléphone.
Faire la queue devant une cabine téléphonique à pièce, dans une station balnéaire, il fait chaud, on est pour la plupart en tenue de plage, de l’autre côté le bureau de tabac, le supermarché les mouettes avec sur le trottoir épuisettes, bouées avec cou et tête de canard, ballons en plastique rose, jaunes, bleus, parasols à rayures, faire la queue pour t’appeler, pour être certains que tu ne peux pas nous appeler trois fois par jour
Tu n’as pas connu les téléphones portables, les sms. J’imagine tes messages. L’usage que tu aurais fait des émoticones peut-être. Tu n’étais pas femme de l’écrit. Des messages audio, tu aurais laissés.
Toulouse, une cabine à carte, près d’un boulevard de ceinture, rue déserte. Il n’y a jamais la queue. Une cabine le plus souvent vide. Une cabine abandonnée. Chacun a un téléphone chez soi, sauf les étudiants comme moi.
Montpellier, dans cet appartement d’étudiant, un téléphone est déjà là. Depuis un pouf rempli de boules de polystyrène, j’entends ta voix.
Mon nom résonne dans la cité universitaire, mon nom résonne dans les haut parleurs, une cabine ouverte, l’un passe avec un rouleau de papier toilettes à la main, en direction des sanitaires.
Dans un rond-point, je dégotte une cabine téléphonique, à cartes toutes désormais, avec cadran à touche, dans mon souvenir la cabine est au milieu d’un rond point, souvenir reconstruit sans doute, il fallait faire vite, t’annoncer à toi la nouvelle, que personne ne t’en informe avant.
Dans une cuisine au papier peint orange et marron, à la table en formica, aux chaises, en formica, aux meubles en formica, un téléphone à cadran, gris, un cadenas dessus, un triangle de plastique qui empêche de tourner le cadran, une serrure au centre. Conséquence d’une facture élevée. Il est possible de répondre aux appels, pas d’en donner.
Les coups de téléphones donnés à partir des mobiles, impossible de les relier à un lieu. Restent la forme de l’appareil, son usage : à clapet, à carte, à touche pour trois lettres et un chiffre.
En Allemagne, en Angleterre, dans les villes jumelées avec celle du midi de la France. La présence des personnes dans la pièce qui ne comprennent pas ce que je te dis.
De l’exposition Universelle, à Séville, j’ai oublié de qui étaient les manuscrits exposés, j’ai oublié le nom de l’arbre exposé par la Hongrie, j’ai oublié avoir vu les manuscrits de La dioptrique, mais pas tes pleurs dans le combiné.
Des listes de mots, d’expressions, des mots notés à des époques différentes, rangés par ordre alphabétique, traduits ou pas, employés par d’autres ou pas. Se dire qu’un jour ils apparaîtront dans un livre sur toi. Comment les y glisser? Par énumération peut-être. Les classer? Ceux qui reviennent les premiers à la mémoire. Les utilisés encore aujourd’hui par certains membres de la famille. Ceux que j’utilise parfois. Les imagés. Les drôles. Les mélangés, ceux que je préfère sans doute.
Se faire pesquer – bramer la saque – tranler – s’espanter – bouillaquéger – tcharer – se tremper – se magner – artayer – se rigner- s’espaller – s’enclosquer – s’escamper – se cramer – tchaper – s’affarter – s’engargaméler – se bougner – capéger – quicher – vendanger – croyer – banquer – se faire estamer – se faire estamper – une esquinade – le pesse – le pèze – les pépettes – les ronds – un caniclo – un maboul – un foutriquet – un fousil – une closque – une tanèque – – une rambaillère – nine – être ensuqué – être débarié – être attifé – être défargué – faire le mariol – une particulière – pardi – macaniche – amaï – maï bé – digo-zé – marqua mal se passeja – le temps se mascare – en marchant vite ça ne se voit pas – un revire et vau t’en – Trinqua tranqua – une raille de pèques – maigre comme une tchirengle – gros comme un poufre – grand comme un espangasat – avoir une coquetterie dans le regard – avoir la masque – se mettre comme une peille – avoir les peilles – un ragoût d’escoubilles – un mescladis – les poutingues – le metge – la pétrolette – un carnaval – un déjeuner de soleil – le cagnard – la cagne – lo tchi – el gato
À l’exposition universelle, à Séville, je ne me souviens pas d’avoir vu une lettre de Descartes à Mersenne, ni d’avoir vu les manuscrits de la Dioptrique, pas même celui du Discours de la Méthode, je me souviens pourtant que je venais de terminer une maîtrise sur Descartes. À l’exposition, à Séville, je ne me souviens pas d’avoir vu les globes et systèmes terrestres selon les systèmes de Copernic et de Ptolémée, je me souviens pourtant que je venais de présenter un exposé sur les découvertes de Tycho Brahe et de Giordano Bruno. À l’exposition universelle, à Séville, je me souviens que je chantais inlassablement quand les héritiers étaient contents, au fossoyeur, au croque-mort, au curé, aux chevaux même ils payaient un verre, je me souviens que je ne pouvais me débarrasser de cette chanson, je me souviens que je ne pouvais me souvenir des paroles qui suivaient, je me souviens pourtant que je venais d’enterrer mon grand-père quelques jours plus tôt, je me souviens qu’il était mort à temps, à temps pour aller danser, à temps pour s’envoler, à temps pour aller visiter l’exposition universelle à Séville. Et je me souviens de tes pleurs au téléphone.
bonsoir Betty
j’ai aimé ton texte, sa musique m’a emportée.
Cette virée dans les téléphones de tout type m’a propulsée jusqu’à Séville pour aboutir à la terrible nouvelle.
Entre tout ça, tu m’as offert un panel d’expressions que je ne comprends pas mais qui participent la cette force centrifuge qui fait que le texte continue de danser. Merci.
Merci Michèle pour ces mots d’encouragement. Suis en train d’essayer de constituer le PDF. Quelle aventure ces 40 jours!