cf#6 Sentir le monde
La vieille étable est à droite de la maison. Dans son jus. À chaque stèle une ardoise indique le nom de sa locataire Allure, Banjo, Dauphine, Fannette, Grâce… Une douzaine, des bretonnes — on dit aussi des brettes — à la robe noire et blanche. L’odeur du lait, fraîchement trait, a comme fruité celle de l’étable faite de paille souillée, de foin des mangeoires, et de la chaude odeur du souffle et de la robe des bêtes. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Les vaches folles d’impatience, tournent leurs yeux aux longs cils vers la porte, raclent leur couche avec leurs sabots. Le chien fidèle, qui s’appelle Fidèle, fait des allers et retours incessants aux culs des vaches. Il jappe, aboie de fougue : levez-vous feignasses ! Mêmes les hirondelles des poutres, nouvellement arrivées de leur long voyage, sont rentrées dans leur nid de boue sèche. Elles risquent, par intermittence, un regard cachou sur la fébrilité des vaches. Et ce chien qui trotte, inlassable, de gauche à droite, de droite à gauche ! Mais où est son patron, quand donnera-t-il le signal ? Qu’attend-il ? Comment les vaches ont-elles compris, qu’après des mois de stabulation, elles allaient sortir. Quelque chose dans l’air, une humidité moins prégnante, une note florale printanière, les cloches de Pâques qui ont sonné la veille ou plus sûrement l’activité du chien qui, ce matin, a quitté sa niche de bonne heure pour reprendre sa fonction première, tout indique que c’est pour aujourd’hui.
Ça y est ! le métayer a ouvert grand les portes. C’est le soleil qui, avec lui, pénètre dans l’étable. Il porte le bâton au chiffon rouge des menées à la pâture. Il libère une à une les vaches, dans un ordre déterminé, pour éviter tout débordement. Fidèle l’aide de toute son expérience. Dehors c’est un spectacle ! Tous les habitants de La Maison sont là pour le voir. Pas question de manquer ça ! Le maître surveille les opérations, la bonne marche du travail dans le respect des traditions, tout en évaluant le bien-être et la qualité de son troupeau. Les vaches se bousculent pour pénétrer dans l’espace prévu pour leur détente, un espace presque clos, limité par deux murs latéraux, un portail au fond, fermé pour l’instant, et l’abreuvoir. Les premières vaches sautent en tous sens pour se dégourdir les pattes, au risque de tomber en glissant sur les pavés. Le métayer et Fidèle travaillent à encadrer ces débordements. Etienne porte aussi un bâton, il a la charge d’empêcher le retour des vaches en arrière. Pris dans la frénésie générale, il crie à sa cousine perchée sur un muret : « Rosalie, regarde ses mémères qui se prennent pour des cabris ! »
Complément pour #37
JE VIS une culotte de coton blanc. Celle de ma cousine qui venait de tomber sur le tennis. Ce n’était pas la première fois que je voyais sa culotte — nous passions toutes nos vacances ensemble à « La Maison », chez nos grands-parents, depuis notre plus jeune âge. Chaque jour, nous faisions une partie de tennis. Nous n’échangions pas des balles molles pour nous amuser, non, nous faisions de vrais matches. Nous nous battions furieusement l’un contre l’autre. Je gagnais la plupart du temps, j’ai cinq ans de plus que Rosalie. Ce jour-là, la vue de cette culotte d’une blancheur si pure, au bout des jambes musclées et bronzées de ma cousine, me fit un effet dévastateur. Le désir, parti de mon bas ventre grimpa par vagues jusqu’à mon cou, mes joues, mes oreilles, mon front. J’eus une conscience très nette de ce qu’il m’arrivait à l’érection embarrassante de mon pénis dans mon short. Je sais que c’est cette culotte, ce jour précis, qui fut la cause de tout.