(Un peu perplexe face à la consigne 39…)
Il y avait eu les librairies qu’il avait parcourues avec avidité, son horizon s’était rétréci, il s’interrogeait, devait-il maintenant se lancer dans une recherche en vue d’inventaire des lieux disparus, au rang desquels figurent les échoppes, boutiques, magasins vendant du texte, aussi de beaux carnets, cahiers tous formats, stylographes à plume d’or fin, cartes et photos en carton gratté ou gravé, en un mot les librairies-papèteries. Les visionnaires de l’anticipation, prévisionnistes et Cassandres au petit pied annonçant la disparition du livre, les bailleurs inquiets de leurs loyers résilièrent baux et contrats liés à la culture, passèrent du papier au tissu, à la maroquinerie de luxe, aux cosmétiques et parfums, du jour au lendemain, état d’urgence oblige. La Hune, orgueil des rats de latinoseries avait cédé la première, dont un rejet diminué, à peine scion, abusant du nom, s’était installé pas loin ; les gabiers au regard perçant de la Hune n’avaient pas vu venir la vague, le tiramisu, quasi tsunami qui allait noyer ses incunables. Aucun de profundis, aucun dies ira, dies irae n’avait retenti dans le Paris Latino, la loi tira la Lang de son mouchoir, bouée de sauvetage désespérée tirant la langue au capital bien décidé à en découdre.
Alors j’arpentais les brocantes aux belles bacchantes, j’entassais dans mes indépendances mes collections – mes illusions – chinées aux puces de Saint Ouen, de Vanves et de Montreuil, je hantais la Braderie de Lille, les Puces du canal à Villeurbanne, je faisais frissonner mon réveil à 4heures du matin pour arriver avant la meute des professionnels qui m’observaient de leurs yeux assassins, j’étais le spécialiste incontesté des faïences de Creil-Montereau, de Badonviller, de Longwy, on consultait mon étude (1200 photos, en vente chez l’auteur) consacrée aux céramiques zoomorphes de Vallauris, je cassais les prix des plaques émaillées publicitaires les plus rares. Cette vie m’épuise, je me suis mis en ménage avec une collectionneuse obsédée par les salerons de verre coloré, elle m’oblige à courir les brocantes de villages où je croise plus souvent d’affreuses barboteuses fin de siècle que de fines barbotines art nouveau. Cela ne peut plus durer, voilà qu’elle se lance dans les boîtes de Banania et les pots de moutarde signés Sarreguemines.
Il était temps, nous avons négocié un modus vivendi de tout repos, nous n’allons plus qu’en salles des ventes, dans les salons spécialisés ; catalogues, réseau de commissaires priseurs bien arrosés, Internet, nous avons mis nos ressources en commun. De nos bureaux de Londres, New York, Zurich, Paris, nous passons des ordres d’achat et vente tous azimuts, nous sommes devenus collectionneurs de… collections.