anthologie #38 | mardi 05 septembre 2017

« Les situations de crise se matérialisent par la concrétisation du risque, c’est-à-dire par la conjonction spatiale et temporelle entre des enjeux directs ou indirects et un événement extrême. »

Mardi 5 septembre 2017

Sur la carte, après le passage, une longue chenille de points successifs de couleur bleu clair jaune pâle foncé orange rouge et à nouveau orange jaune foncé pâle puis bleu clair, depuis le large des côtes africaines jusqu’à l’intérieur des terres américaines en passant par les petites et les grandes Antilles.

matin

Ici, pour l’heure, au petit matin, la vigilance est orange et c’est le calme gris et plat de la mer et du ciel qui précède le déchainement des grands vents. Et dans ce calme souverain, c’est l’ébranlement du quotidien.  Les grandes forces de la nature en approche fissurent les habitudes, creusent les inquiétudes, reconfigurent l’espace et le temps. Sur l’île, c’est l’affairement des préparatifs au rythme des bulletins météorologiques, des messages de sensibilisation, des conseils et consignes de sécurité qui scandent les heures sur les ondes et les écrans. L’heure est aux prévisions. Faire le plein dans les stations-services. S’impatienter dans les longues files d’attente.  Compléter les réserves anticycloniques. Remplir les bouteilles et bidons d’eau.  Le temps progressivement se suspend. Les écoles sont fermées au moins jusqu’à mercredi. Dans le quartier de la Cathédrale, Alain observe longuement le ciel gris comme pour guetter les premiers vents. Dans les martèlements qui font trembler le quartier – les maisons se calfeutrent – il se décide finalement à préparer un petit foyer pour se faire à manger en bord de friche, à même le pavé. Il a entendu la rumeur des grands vents, il perçoit l’agitation. Il est inquiet pour le fauteuil. Il sait les grandes houles des grands vents. Il ne résistera pas. Après manger, il ira le mettre à l’abri.  

après-midi

A 13h09, vigilance rouge.  « Les salariés sont priés de rentrer chez eux. Toutes les entreprises ferment. Seuls les services de secours et d’intervention restent sur le qui-vive. L’aéroport international Pôle caraïbes avait prévu de fermer en fin de journée. Les derniers vols sont partis en fin de matinée, les autres ont été annulés. Les navettes maritimes ont aussi annulé toutes leurs rotations entre les îles de l’archipel et avec la Martinique. Les vents les plus violents sont attendus à Marigot (Saint-Martin) et Gustavia (Saint-Barthélemy). Des vents qui pourraient aller, en rafales, au-delà de 300 kilomètres heure. La Guadeloupe, elle, sera plus concernée par les houles. » Alain a déplacé le fauteuil dans le grand hangar des carnavaliers. Un type a bien voulu l’aider. Ils se croisent de temps en temps sur le bord de mer. Il l’aime bien car avec lui il sait qu’il n’est pas obligé de parler. Le type lui a conseillé de trouver un abri sûr pour la nuit prochaine. Il verra. Devant la station-service de la Marina, la tension monte entre deux gars. Alain hausse les épaules.  

soirée

Les poissons-volants ne sauteront pas dans les rayons de lune cette nuit. Le gris avalera tout.

L’alerte violette a été déclenchée dans la nuit du mardi 5 au mercredi 6 septembre dans les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélémy.

Sources des passages en italique : source 1 / source 2

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

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