#anthologie #38 | manifs

Je suis allée ce matin à la manif, juste après avoir fait mes courses, le rendez-vous est toujours fixé à 11h30, ce qui permet à ceux qui ne sont pas en grève de participer au défilé sur leur temps de déjeuner.
Je me souviens de toi, posté devant l’Intermarché, tu descendais dès que tu entendais les slogans et la musique ébranler les fenêtres. Alors, aujourd’hui, j’ai fait comme toi, même poste d’observation et même regard acéré sur nos alter-égaux, nos compagnons, nos camarades, tant de manifs dans les pattes sur le thème de la retraite, tant de lois, de décrets imposés contre la volonté de millions de personnes.…


& cet autre la pancarte à la main brandissant son esperluette suivie d’un NOUS imposant d’où se dandine un point d’interrogation vengeur
& celle-là le masque sur le visage, réflexe de pandémie, qui murmure les slogans en décalé cherchant des yeux l’amie laissée à la boulangerie
& cet enfant juché sur les épaules de son père le fil du ballon rouge « 64, c’est non ! » au bout de ses petits doigts boudinés
& ce quinquagénaire de toutes les manifestations aux pattes d’oie rieuses son gilet CGT fluo sur le dos brandissant le poing à chaque NON
& celui de la sono qui chante faux mais que ses camarades suivent en lui donnant un la fictif
& cette jeune femme perchée sur la camionnette aux tatouages et piercings ostentatoires aux cheveux violets dans une robe savamment déchirée qui chante qu’elle ne lâchera rien
& ceux qui se serrent les coudes dans une chaîne indestructible de détermination face à la flicaille vêtue de sombre
& ce passant pressé ses courses débordant de son sac en plastique, pressé de rentrer chez lui et de pousser le verrou
& cet autre vieux sur le trottoir qui applaudit des larmes au coin des yeux
& ce groupe d’amis et de collègues qui n’en finit pas de se raconter comment ils et elles se sont levées laissant le chef planté au milieu du bureau sans voix

De voir ceux qui nous ressemblent de ton poste d’observation, toi bien plus grand que moi, m’a fait prendre de la hauteur et a ajouté un point d’ironie à ma nostalgie.

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