Ce jour-là vous êtes arrivés au champ à six heures du matin, le soleil tape ces derniers jours et vous voulez ramasser les pommes de terre avant que le soleil ne soit trop chaud. Tous vous étiez là, le père, la mère, le grand-père, le frère et les deux ouvriers de la ferme. Vous remplissez les grands paniers avant de les verser dans le chariot. Le travail de ramassage des pommes de terre est harassant. Il se pratique à genoux et le panier plein est lourd à transporter, mais vous avez l’habitude et connaissez votre chance de ne pas travailler à l’usine. La ferme vous apporte une nourriture suffisante et vous seriez presque heureux si ce n’était la frayeur en cet été 1914 de voir arriver des heures beaucoup plus sombres.
Vous rentrez à la ferme juste après que les douze coups de midi aient sonné au clocher. Avant le déjeuner, le père et le frère vont verser le contenu du chariot dans la cave, cet endroit sombre pour éviter la germination des pommes de terre. Vous êtes heureux du travail accompli, vous avez vos provisions pour l’hiver. Les pommes de terre sont la base de votre alimentation. Dans la cuisine, la mère a dressé la table, une nappe à carreaux, des assiettes et des verres, une carafe de vin, le pain, du jambon et des œufs tout juste frits à la poêle. Un café en fin de repas.La fatigue se fait sentir, la matinée de travail a été longue. Alors, vous savourez le petit moment de repos jusqu’à l’heure de la traite des vaches. Sieste, tricot ou lecture du journal, telles sont vos occupations. Les nouvelles sont mauvaises. En première page l’assassinat de Jaurès. Alors qu’il s’entretenait avec des amis de la gravité des événements qui se tenaient en Europe et qu’il disait “ le gouvernement français pouvait encore sauver de l’horreur d’un cataclysme “ juste à ce moment-là, deux balles le tuent sous les yeux de ses camarades. Le père dit son inquiétude, la mère ne dit rien mais elle se lit sur son visage. Léonie ne peut pas imaginer la guerre. Un peu plus tard – il est quatre heures – les cloches de la petite église du village retentissent, comme toutes celles des clochers de France. Elles annoncent la sinistre nouvelle, celle de la mobilisation générale. Vos visages grimacent, se tordent, vos corps se figent. Personne ne parle, votre douleur est silencieuse. Tous vous redoutiez ce moment ; vous parliez souvent de cette éventualité ces dernières semaines, mais vous vous rassuriez, sûr que les États allaient trouver une solution.
Cette date du 1er août 1914 allait entrer dans l’histoire, mais toi Léonie, tu n’imaginais pas comment elle allait bouleverser ta vie. A cette heure, tu savourais juste une bonne nouvelle, ton frère n’a que quinze ans, il n’est pas encore mobilisable. Il le sera à dix-huit ans, mais d’ici-là la guerre sera terminée.Et le père va-t-il partir ? Avec ses problèmes de santé, sera-t-il réformé ?
Je suis toujours surprise de retrouver Léonie (pas toujours en tête que tu en es l’autrice) dans un espace temps élastique. Voilà un beau sujet /projet littéraire. Bravo de t’y tenir 😉