Je vis les grands arbres du parc et l’entrée sous une marquise de verre, sur les deux bancs qui l’encadraient des personnes se reposaient, je la vis elle – elle avait mis pour nous du rouge à lèvres – et son lit dans un vaste dortoir et sa petite table de nuit en tôle émaillée où elle ne pouvait garder que très peu d’affaires. Six mois qu’on était privés d’elle je l’écoutais de toutes mes oreilles, on a du faire deux à trois fois le tour du parc, le temps qu’elle nous raconte tous ces étonnements, les fracas dans la vie de ses pairs, conséquences de la maladie ou des traitements se demandait-elle, contente d’être tout de même moins amoindrie, par exemple elle savait parfaitement que notre père était son mari et nous ses filles, comme elle dit, elle avait beaucoup de chance
Je vis ce village en ruines de l’autre côté de la vallée, le village dont les pierres sèches et écrasées de soleil s’éboulaient. En regardant longtemps ce qui restait de ces maisons, une fenêtre, un volet pendant, un petit escalier qui montait aux chambres, ces ruelles où jouaient des enfants, ce lavoir rejoint par des femmes portant sur leur tête un panier de linge vers le lavoir, cette cheminée où brulait un feu les soirs d’hiver, ce banc où aimait s’asseoir un homme pour fumer sa pipe. Ce village où résonnaient encore les cris des parturientes et les gémissements des mourants avait été habité un jour …
Je vis en grimpant un peu la clôture les rails au creux du talus, on les entendait encore, on fouillait du regard le talus, les traverses et le ballast, un garçon est descendu, a longé un peu les rails, on se taisait tous pour qu’il puisse se guider à l’oreille, il les a trouvé : trois petits chats, les trois tenaient dans ses mains, ils ouvraient grands la gueule pour produire leurs minuscules miaulements, l’un des trois saignait à l’oreille, il est remonté nous a passé les chatons par-dessus la clôture qu’il a escaladé, on était cinq ou six à les contempler , les plaindre et se demander que faire, tellement attristés. On est allé les porter au vétérinaire qui nous a foutus dehors, j’ai pensé en garder au moins un, j’en crevais d’envie, mais je savais que non bien sûr…
Je vis Antraigues sur Volane et Jean Ferrat se promenant en bon seigneur dans ce qui était devenu son village, parlant aux uns aux autres, amical et doux et puis j’ai vu un mime sur la petite scène installée sur la place, il y avait du monde, on était venu pour Colette Magny. Elle s’est installée lentement sur la scène a commencé à chanter Melocoton, s’est interrompue, a repris, s’est interrompue, le mime passé dans le public l’encourageait Tu es énorme Colette, il ne parlait pas de son physique, elle a fini par dire non je ne peux pas, elle a quitté la scène. C’était fini.
Je vis pour la première fois de ma vie une petite chouette effraie, debout au pied d’un arbre, les trous d’ombre de ses yeux au cœur blanc de sa face clignaient un peu, puis se fermaient plus franchement, s’ouvraient et se fermaient encore. Elle ne bougea pas à notre approche, elle nous intimidait. Elle mourait. On s’est éloignés un peu et quand nous sommes revenus la voir, elle était couchée, son ventre de neige douce regardait le ciel. `
« le temps qu’elle nous raconte tous ces étonnements, » que c’est beau
merci Nathalie