#anthologie #37 | engloutis

Je vis des regards se détourner du mien alors que mon regard parcourait la ligne des visages parfois très proches l’un de l’autre à cause de la perspective. Le kaléidoscope des visages se déformait à chaque passage de mes yeux, car les visages se tournaient de droite à gauche, parfois de gauche à droite, soit pour éviter soit pour rencontrer sans que je ne sache très bien si c’était pour une raison ou l’autre. Je finissais par rencontrer des yeux luisants qui semblaient attendre ce moment avec frénésie. L’agitation palpable de ce regard me fit détourner le mien. Moi aussi je tournais la tête à gauche.

Je la vis se fondre dans le nuage de sable. La tempête s’était levée rapidement. Elle s’enfonçait toujours plus, loin de nous, comme aspirée par la tempête, comme aspirée par la mer que l’on ne voyait pas mais qui se trouvait au-delà de ce mur qui se formait petit à petit, à mesure de ses pas, entre elle et nous. Elle marchait droit, lentement. Elle fut bientôt engloutie tout entière.

Je vis leurs visages se rapprocher. Ils étaient front contre front, comme deux taureaux qui s’affrontent. Tous les deux les mains levés au-dessus de leur tête, signe de défense ou d’offense. Leurs visages, à peine visibles, semblaient tordus. Les lèvres s’écartaient largement d’un bout à l’autre de la face avant de se rassembler au centre du visage. Leur dos était voûté, mimant un éloignement qui n’avait plus lieu d’être, mais qui était peut-être la dernière expression de leur décence.

Je vis les images, toujours les mêmes images, de visages. Les visages souillés de terre et de sang. Les visages qui ne portaient pas de sourire. Les visages qui se répandaient de page en page. Tous ces visages qui regardaient l’objectif avec leurs yeux. Qui regardaient bien en face. Parfois les visages s’animaient. Se tordaient. Les visages n’étaient plus des visages. Ils étaient autre chose. Des expressions de souffrance. Même pas des grimaces. Des visages qui n’en étaient plus parce qu’ils ne voyaient plus les autres visages. Des visages sans visages, abîmés dans quelque chose qui ne peut être regardé.

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