#anthologie 37 | Cachou et autres histoires

En m’asseyant je vis une sorte de panier en toile rouge. Les deux rabats fermés par une fermeture éclair en dissimulaient le contenu. La caisse parallélépipédique était également pourvue de deux poignées grises, également rabattables. J’en possédais moi-même un modèle similaire, mais en toile bleue. Je savais qu’un dispositif très simple de tringles repliables à l’intérieur permettait de l’aplatir complètement, le rendant ainsi aisément transportable dans un coffre de voiture. Ce type d’objet destiné à recevoir les achats du quotidien  se trouve habituellement dans les enseignes d’équipement tout venant, pour la cuisine, le jardin, la maison, la décoration, plutôt dans une gamme très bon marché. J’étais alors dans la salle d’attente de la clinique à Auray, et l’objet était posé sur la banquette, côté chat – une deuxième salle d’attente était réservée aux chiens (et bien entendu leurs maîtres), la troisième, plus petite destinée aux NAC, à savoir « les nouveaux animaux de compagnie », étiquette « large » allant du furet aux serpents en passant par la tortue. J’en étais à supposer qu’un chat se trouvait enfermé dans cette prison de toile, non sans une légère inquiétude quant à son confort, la difficulté pour l’animal de respirer dans cet espace clos, d’autant plus qu’aucun signe de vie n’en émergeait. C’est donc avec soulagement que j’ai vu s’approcher une dame un peu âgée, très maigre, aux cheveux fins et très courts, le visage buriné. Elle avait du mal à se déplacer, de sa droite main elle pressait le bas de son dos. Elle s’est assise de l’autre côté de la caisse rouge dont elle a rapidement défait les fermetures éclairs et ouvert les rabats de toile. À l’intérieur un chat noir patientait. Je lui fais part de mon étonnement devant ce moyen de transport inhabituel. Cachou l’adore ! C’est son refuge préféré… Elle m’apprend également que Cachou a l’habitude de vivre sur un bateau, au moins six mois par an, puisqu’elle et son mari, depuis des années partagent leur temps entre terre et mer. Souvent ils mouillent en Grèce. Là-bas son mari est tombé sérieusement malade, ce qui leur a valu de rentrer précipitamment France. Il vient tout juste de sortir de l’hôpital, on va bien voir maintenant ce qui va se passer. Quant à Cachou il commence à se faire vieux et il a une douleur, une gêne, c’est sensible là au niveau du gosier. En ce qui la concerne un lumbago sévère la fait sérieusement souffrir. C’est pas pour rien, vous savez ce qu’on dit, plein le dos… Elle se croyait plus forte, qu’elle pourrait s’arranger de tout ce qui arrive en même temps, mais on est responsable d’eux, il nous a adopté. Elle caresse Cachou doucement sur le sommet du crâne là où c’est très doux entre les deux oreilles, faut bien s’en occuper.

Soudain je vis un grand battement d’ailes alors que le goëland se posait sur le rebord de la baie vitrée. Ensuite il s’est mis à déambuler en parcourant des aller-retours militaires sur toute la longueur. Selon le profil visible le bec jaune exhibait ou non la cible rouge.  Parfois l’animal s’arrêtait et fixait l’intérieur de la chambre. L’infirmier a ri. Il ne faut surtout rien leur donner ça peut très mal finir : un jour une patiente a voulu pousser un bout de nourriture par l’interstice sous la fenêtre, histoire de passer le temps, ou par pitié ? Le goëland lui a tellement esquinté le doigt qu’il a fallu lui poser plusieurs points de suture, ensuite elle a pu rentrer chez elle mais avec quinze jours d’antibiotiques.

Je les vis sous l’escalier, dans le grand débarras, entre les valises cabossées, les cartons éventrés, les vêtements abandonnés, le vieux cadre de marche et même un fauteuil roulant dégonflé et poussiéreux, disloqué et recroquevillé sur lui-même comme le sont les araignées écrasées. En somme les restes, les épaves, tout le surplus désordonné d’un service accueillant des patients à la dérive. Ils étaient là, coincés entre les sacs poubelles noirs pleins, une dizaine de grands rouleaux de papier. Ils étaient maintenus par une ficelle rouge, ou bien simplement scotchés. Une fois déroulés ils révélaient une architecture compliquée de plans minutieux et infinis, annotés de son écriture fine et serrée, dans tous les sens et recoins. Quelques années auparavant le psychiatre l’avait convoqué dans son bureau. Il lui avait demandé de cesser sa production incessante de constructions délirantes et de faire des efforts pour revenir dans la réalité. Il lui avait également recommandé de sortir de ses quatre murs, de fréquenter davantage les autres patients et les soignants, en somme de s’ouvrir au monde réel et à ceux qui l’habitaient. Une fois ses dessins confisqués sur « injonction thérapeutique » il s’était réfugié un peu plus dans le nuage de fumée âcre qu’il produisait avec sa pipe. Il séjournait dans sa chambre envahie par un brouillard malodorant en dépit de toutes les interdictions relatives à l’usage du tabac dans les yeux publics. Enveloppé également dans sa corpulence et dans une robe de chambre dans les tons bleus, épaisse, à larges carreaux, il jouissait parfois de la terreur qu’il pouvait générer en grimaçant férocement auprès des jeunes stagiaires amenées à le croiser. Il tordait grand une bouche édentée, roulait des yeux en poussant des cris et grognements, se penchait sur sa victime, souvent une jeune fille, en agitant les bras. Puis il éclatait de rire s’il avait fait impression suffisante pour obtenir un cri d’effroi. Il est mort d’un cancer, la maladie mentale ne protège pas de la folie cellulaire. Ne vous inquiétez pas. Vous resterez avec nous aussi longtemps que nécessaire. C’est ça qui l’avait rassuré alors qu’il s’inquiétait de devoir quitter ses quartiers pour être transféré à l’autre hôpital.

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