#anthologie #37 | ascenseur

Je vis une femme adulte ne pas oser soulever la couverture d’un lit, ayant peur d’une bosse sous une couverture. Je vis une vieille femme soulever la couverture, sans la moindre crainte, et attraper une poupée qui était là, dans le lit. Nous étions dans la maison de l’impasse, Agualica était morte – depuis combien de temps – on m’avait amenée dans cette maison que je ne connaissais pas, ou mal, y étais-je déjà allée, longtemps qu’Agualica n’y vivait plus, un sol en terre battue, une maison faite d’une seule pièce, un cabanon plutôt qu’une maison, sans lumière peut-être, l’eau au puits, un héritage, un bien, le premier de la lignée, une maison à vider, à vendre, un argent à partager, elle avait annoncé qu’elle partagerait Françoise, avec ses enfants, il fallait vider la maison, maison inoccupée depuis des années, elles étaient venues ensemble la mère et la fille, la fille avait conduit la mère, la fille avait pris l’enfant, trois femmes, parce que que ce sont toujours les femmes qui veillent les morts, les femmes qui habillent les morts, les femmes qui vident les maisons, les femmes qui nettoient le linge, les femmes qui affrontent les lits avec des bosses, les rats. Mais il n’y avait pas de rat dans le lit, pas de cadavre dans le placard, et la fille adulte, la fille devenue femme n’avait pas osé tirer la couverture, ouvrir le lit, affronter la bosse. Qu’imaginait-elle? Que craignait-elle de trouver? Un enfant mort? Il y avait une poupée. La poupée dont elle avait hérité. La poupée aux yeux de verre, la poupée chauve, les cheveux devenues filasses étaient tombés les uns après les autres. On vendrait la maison. On garderait la poupée. 

Je vis dans une cathédrale, une procession. C’étaient des moniales. Elles vivaient cloitrées. L’une d’elle était très jeune, le visage très beau. Son vêtement disait que ses voeux étaient imminents.  A cause de sa jeunesse, de sa beauté, on s’inquiétait. Renoncer à la vie, s’enterrer vivante on entendait. On pensait à un ange en la voyant passer. On savait qu’elle allait disparaître, derrière des murs. Une beauté pour rien, comme celle des arbres la nuit que personne ne voit, les amandiers en fleurs incandescentes que personne n’admire la nuit, elle passait dans l’allée centrale et disparaîtrait. Hugo s’étonnait déjà, comme si quand on était belle on avait droit d’épouser Dieu. 

Je vis une femme qui ne tremblait jamais trembler devant une porte d’ascenseur. Aurait-elle le temps d’entrer avant que les porte ne se referment? Allait-elle être écrasée, écrabouillée par les portes métalliques qui n’avaient rien à faire de son âge, de son déambulateur, de ses jambes qui ne la portaient plus. Je vis une femme qui avait été envoyée dans un bâtiment moderne, avec ascenseur, un monstre d’acier capable de la broyer si elle ne se hâtait pas, elle qui ne pouvait plus se hâter. Je vis une femme trembler devant un ascenseur dans un couloir vide, un couloir de maison de retraite appelée par euphémisme foyer, comme si une chambre dans laquelle chacun peut entrer à sa guise était un foyer, comme si un endroit où l’on ne cuisinait plus, sans odeur de cuisine, était un foyer, un endroit sans four allumé, sans foyer, était un foyer, je vis une femme dont la main n’avait jamais tremblé devant le feu, devant un lit avec bosse, devant un homme, trembler devant un ascenseur, devant des portes d’acier capables de la broyer.  

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Un commentaire à propos de “#anthologie #37 | ascenseur”

  1.  » un couloir de maison de retraite appelée par euphémisme foyer, comme si une chambre dans laquelle chacun peut entrer à sa guise était un foyer, comme si un endroit où l’on ne cuisinait plus, sans odeur de cuisine, était un foyer, un endroit sans four allumé, sans foyer, était un foyer, »

    comme c’est beau et si bien dit le foyer sans foyer, merci tellement

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