« Toute forme n’est qu’un moment d’équilibre dans le jeu des rythmes dont le mouvement constitue partout toutes les formes, toute la vie. » Jean Epstein
Et une nuit passa, une nuit orageuse, des éclairs que l’on aurait cru au ralenti tant il y en avait, il faisait jour.
Il était sur scène et jouait son rôle. Devant des visages qu’il ne distinguait que par moments épars, qu’il ne pouvait fixer. Ses yeux balayaient l’espace et quelques images venaient à lui comme surgit du noir soudainement éclairé ; des images portées par l’air qui à un instant précis se serait condensé de telle sorte qu’il n’entrevoyait que des éléments essentiels aussitôt remisés dans un dédale d’impressions fugitives. Des fantômes de lui-même se pressant aux portes de sa conscience soudaine qu’il était observé. Il ne pouvait y rattacher une quelconque ancre comme lors d’une promenade en hauteur au-dessus d’une rade dont on fait le tour, dont on redessine des yeux la courbe, puisque devenu courbe lui-même à la quête d’une fixité impossible. Que tel sourire s’évanouisse et qu’il soit impossible de le retrouver dans l’instant suivant, aussitôt remplacé par le son d’une toux qu’une main en cornet étouffe et tout devenait encore plus flou. Une cataracte en cascade, parfois des rires résonnaient, mais il ne pouvait en remonter la source. Un lent débit de textes suivi de silence où l’on décroisait les jambes, où l’on déplaçait un pied où parfois on se redressait à cheveux longs, à cheveux courts, avec ou sans moustache, jeune ou âgée. Elles se pressaient comme des revenantes tentant de pénétrer cette lumière-ci, celle de la scène qu’il ne voyait plus comme un espace unique, mais une suite d’espaces, des lieux de phrases, de sentiments joués, feints sur une durée qu’il connaissait à l’avance et qui maintenant se repliait sur elle-même comme l’aurait fait un poisson dans un bocal.
Cf #anthologie #06 | le liondent d’automne