C’est la chaleur qui étire la scène, l’allonge comme on étend un corps dans l’ombre. Sa mémoire déplie un à un les éléments de sa silhouette : le pied en arc, legs des heures de danse, les cuisses enflées qu’elle bat rageusement chaque fois qu’elle les fixe, le bronze de son ventre, les poignets affolés, la maladresse écarlate des ongles à vamper du regard. Elle ne connaît l’été qu’ici, loin de chez elle, aux abords cailloux et lavande des Cévennes. C’est le Gard et les rideaux blanc tremblés dans l’embrasure des fenêtres. À mesure que les images s’emballent, elle met la peau en sourdine, elle ferme les yeux. Une mouche s’est posée sur sa clavicule, elle louche doucement pour l’apercevoir, se trouve une grimace d’enfant, renonce. Les pattes de l’insecte, imperceptibles, comme le souffle d’un homme dans sa nuque. Elle ne bouge pas, ça ne doit pas bouger. De la pensée, elle verse un peu de résine sur l’épiderme, les poils blonds s’alourdissent, prennent patience. La mouche attend ; on dirait qu’elle méprise le bruit surtendu des cigales. Bientôt peut-être, la vrille de ses pattes filera de la clavicule à la poitrine, ou remontera au contraire vers l’abrupt du cou, l’arrête du menton. Sous la paire d’ailes, le corps de la jeune femme s’est gorgé de roche et d’avenir. Il prend le soleil, il guette.
(Extension de la #6)