#anthologie #36 | Premier regard.

1998 – Le visage de l’homme aimé dont je connais chaque trait mais que je découvre encore. Ce visage que j’ai vu la première fois en bas d’un escalier et qui me m’a pas paru beau. Pas laid non plus, triste, oui, c’est cela le bon mot, triste. Ce visage que j’ai regardé voire scruté car je savais que j’allais le rencontrer sans deviner, à ce moment-là, qu’il allait devenir ma vie. Ce visage dont on m’avait évoqué les traits omettant de me préciser sa tristesse. Ou était-ce la mienne qui se reflétait en lui au moment où j’ai posé mes yeux dans les siens ? Je descendais l’escalier et je l’ai vu parmi d’autres mais j’ai tout de suite su que c’était lui qu’on allait me présenter. Je descendais l’escalier et je l’ai regardé. Je me souviens encore très bien de son premier regard presqu’indifférent au mien. Il m’a dit un bonjour comme on donne un bonjour à quelqu’un sans se soucier réellement de qui il est. Je viendrais avec quelqu’un lui avait dit l’ami qui voulait me le présenter et je m’attendais à tout sauf à ce bonjour poli comme une parole d’usage prononcée sans aucune curiosité. Je l’ai regardé en biais tandis qu’il continuait à accueillir d’autres personnes qui arrivaient. Les traits un peu creusés, les cheveux longs, tombant dans le dos, le visage et un corps semblables à celui d’un danseur, calme, presque indifférent. Il accueillait sans sourire, sans émotion particulière, sans effusion, sans exagération et moi qui évoluais dans un milieu contraire, je ne savais pas quoi en penser, je ne savais pas comment l’appréhender. Je n’avais jamais vu un visage qui semblait ne rien vouloir, ne rien montrer, ne rien cacher. Pas de séduction, pas de cinéma, pas vouloir prouver quoi que ce soit, un visage qui regardait simplement et qui ne demandait rien. On s’était mis à parler. Je le regardais avec tout mon tralala et lui n’exprimait pas grand chose. Je le regardais et je ne savais pas où poser mon regard tant ses yeux semblaient me voir. 2024 – Le visage de l’homme aimé dont je connais chaque trait mais que je découvre encore..

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

6 commentaires à propos de “#anthologie #36 | Premier regard.”

  1. Oh que c’est bien écrit! « pas de séduction, pas de cinéma… »et jusqu’au bout du texte! « Je le regardais avec tout mon tralala.. »Très cinématographique mais l’écriture suffit aussi! Merci beaucoup pour cette belle respiration!

  2. J’aime beaucoup ce texte et qui prend toute sa place avec les 19 21 et 27, cet amour au long cours, et belle phrase de fin « Je le regardais je ne savais pas où poser mon regard tant ses yeux semblaient me voir ». merci Clarence

  3. J aime beaucoup , sa simplicité, sa sobriété , sans » tralala  » et qui en dit tellement à la fois . On se demande comment peut évoluer cette relation, elle , déjà , a commencé sa mise à distance . Il ne fait rien et pourtant tout bouge autour de lui .. merci .

    • Tout bouge autour de lui, ça c’est vraiment beau Carole, je n’avais pas vu les choses ainsi, merci beaucoup.