Le pied nu de Séraphine se balance quelques centimètres au-dessus de l’eau. Il avance, il recule, il monte, il descend, hésite, s’apprête à toucher la surface liquide qui commence à frémir au contact encore insensible de cette peau de petite fille qui reste suspendue entre le vent et la rivière. Le gros orteil est légèrement mouillé, à peine entré ressorti, puis un à un les autres orteils, l’autre pied, les talons, les mollets, les genoux et soudain le corps entier sans qu’on ait eu le temps de s’habituer au froid qui pénètre jusque dans les veines, dans les os de Séraphine vieillie qui lentement se baisse pour retrouver la sensation qui fut la sienne il y a si longtemps. Penchée en avant, elle frôle le courant calme de l’Arbogne des doigts et de la tête, cheveu après cheveu, encore sèche mais déjà rafraîchie, le petit doigt se fondant dans l’onde, puis l’annulaire puis un à un les autres doigts, alors que le front tombe légèrement vers le bas, que Séraphine perd presque l’équilibre, rétablit son centre de gravité hors de l’eau et n’a plus que les yeux qui restent perdu au fond, quelque part entre les cailloux et la vase, plus bas encore, immobilisés par des visions vagues où dansent calmement des ombres projetées sur les parois de cette caverne qu’elle sait en dessous de tout cela.
Un commentaire à propos de “#anthologie #36 | penchée”
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Oh ! cette compression du temps entre le moment où la petite fille met le pied dans l’eau et où celle-ci la ressent, vieillie… Une image de film… Merci Vincent, pour ce beau fragment !