Seule face au miroir, son visage se tord, sa bouche s’entrouve laissant échapper une plainte rauque, ses paupières battent essayant de se débarrasser des larmes accumulées.
Seule, elle fixe le miroir, le tain commence à craqueler sous l’intensité de sa présence. Des morceaux coupants se détachent. Elle en saisit un lentement et méthodiquement, elle l’enfonce délicatement à la base de la joue droite, elle s’applique, dessine le tracé fluide de la courbe de la mâchoire, une perle, deux perles, trois perles brillantes affleurent sur son visage, laissant des éclats de soleil refléter des bribes du temps.
Elle ne pleure plus. Elle regarde le miroir craquelé et sourit.
Elle prend délicatement un petit triangle, un petit isocèle qu’elle pose délicatement entre les deux sourcils, là aussi quelques perles naissent sur les côtés.
Elle se trouve belle et continue ce qu’elle nomme maintenant son œuvre d’art. Calmement, elle s’empare d’un fragment de reflet d’elle et strie la joue gauche délicieusement de peintures indiennes, comme elle l’a vu dans des films de cow-boys. Légèrement en biais, du nez jusqu’à la tempe. Beau rendu ourlé lui aussi de perles carmin.
Elle veut maintenant souligner le menton et retrouver sa fossette de jeunesse. Comme un peintre pointilliste, elle applique la pointe du fragment pour dessiner ce qui la rendait si craquante. Petites perles grenat.
Elle reconnaît dans ses traits Dora Maar peinte par le tyran.
Elle se sourit.
Posément, dans un mouvement que le soleil suspend, la main reste levée. Va-t-elle ajouter un détail à la composition ou va-t-elle souligner de rouge le bleu des veines du cou ?
D’un geste décidé et rapide, en une fraction de seconde, elle pénètre au plus profond de l’existence ne laissant aucune chance à la vie.
Suite du #34-35
Terrible et magnifique ce ralenti portrait Michèle, bravo pour la précision des détails, des images qui me tiennent à la fois dans la lecture et le tremblement de celle-ci. Merci.