D’abord elle rougit, et se sentant rougir rougit plus encore, s’imagine que tous ne voient que çà, ne pensent qu’à ça, qu’à elle et son teint de tomate confite, les autres la jugent, sans aucun doute ils la jugent, ah les autres… elle ne connait pratiquement personne ici, elle est mieux quand elle connait ne serait-ce qu’une personne, elle peut s’y accrocher comme à une patère, jusqu’à ce que la patère fasse d’imperceptibles mouvements d’impatience, cherche une échappatoire, coucous hâtifs à n’importe qui, puis mouvement de fuite excuse-moi je dois absolument… (absolument te laisser choir espèce de crampon) Ce soir, elle est complètement bouclée dans sa trop grande conscience d’elle-même, une vraie cage qui l’isole au milieu des autres, la respiration coupée, elle perd alors le contrôle de sa voix qui devient plus aiguë encore que d’habitude et fend l’air d’un filet douloureusement pathétique et inaudible, personne ne lui répond, évidemment puisqu’elle est aussi idiote que pitoyable, elle n’a plus une seule idée d’équerre, perd de vue ses propres goûts et opinions, cherche l’issue de secours, chacun de ses gestes sa démarche même trahissant son malaise, elle a tellement soif soudain, le buffet comme une oasis, on peut dire à n’importe qui que le buffet est vraiment bon, la soirée tellement réussie même si mortelle dans sa réalité vraie, elle attrape une flûte, un petit canapé, quelle soirée réussie, elle postillonne sur sa voisine qui l’esquive sans un mot, elle-même esquisse un involontaire mouvement pour la retenir, renverse son champagne sur un autre convive, s’excuse d’une voix de mourante, au bord du malaise, prend la fuite en trébuchant, se fait un croc-en-jambe à elle-même, se cogne contre les autres, elle qui dans leur chambre peut faire le flamant rose pendant plus de trois minutes, ne tient plus sur ses deux jambes et dit très vite pardon pardon pardon. Le temps ralentit alors indéfiniment, s’étend comme une flaque poisseuse où elle s’embourbe, elle s’aperçoit dans un miroir, son teint bordeaux tranche sur son chemisier crème, ses yeux de naufragée… elle se déteste, elle se déteste tellement, oh mais tellement, mourir plutôt que de continuer à vivre dans cette peau, elle le cherche du regard, il est sa bouée, son radeau, son sauveur et c’est bien ça qu’il peine à lui pardonner, cette façon de s’excuser de vivre, de ne penser qu’à elle finalement, car même si c’est en négatif, elle n’est préoccupée que d’elle-même, elle n’aura rien vu de la soirée, rencontré personne, savouré aucun plat, rien admiré de ces lieux somptueux, une soirée qu’il aura fallu écourter comme d’habitude parce qu’elle « n’en peut plus de ces mondanités ». Dans la rue, déjà elle s’apaise, elle redevient presque drôle, tu as trop bu chérie, fait le flamant rose pour prouver que non, que nenni c’est le veston d’un abruti qui m’a sifflé mon champ’, elle libère sa rage non mais tu as vu cette bande de cons, elle redevient belle, sa peau claire, à peine un peu de rose aux joues, les lèvres humides, elle dévoile ses trésors dont personne n’a idée, et c’est ça qu’il ne pardonne pas à Miss Pardon, c’est qu’il a l’air de se trimballer une cruche qu’il faut sans cesse défendre contre elle-même.
2 commentaires à propos de “#anthologie #36 | Miss Pardon ou le flamant rose”
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J’aime beaucoup cette métamorphose intérieure qui plie lentement vers un être différent avant de revenir à une forme plus réelle. Un morceau de métal qui se tord et se détord. J’aime beaucoup. Merci Catherine.
J’aime bien ce commentaire qui voit ce que je ne vois pas moi-même, merci!