Le paysage défile tellement lentement. Il semble stagner. Il flotte. Il ne pleut pas mais une buée opacifie la vue. Les collines presque immobiles, les verts plus verts des bosquets tranquilles en bordure, et les arbres pensifs, patientent, leur tête inclinée. Le soleil envahit l’habitacle, nimbe, plombe, s’étale. Et le silence tout l’espace du dedans et du dehors.
Rien ne bouge que la voiture, imperceptible, en suspens. La route se dédouble, elle s’allonge, l’horizon gelé vissé au pare-brise. La voiture n’en finit pas d’avancer. Elle pourrait reculer. La perspective d’un retour s’éloigne. L’esprit retors ne sait s’il veut ou ne veut pas rentrer. Il y a quelque chose de forcé dans le désir, une angoisse ou un trac incontrôlé. Quelque chose au ventre qui refuse et se désespère de refuser, qui se désole et se réjouit à la fois. C’est le nœud à l’estomac qui ralentit la progression de la voiture, je le sens bien.
Tout pourrait s’arrêter en plein milieu, chaussée plate à l’extrême, perception nulle des traversées, des kilomètres. Très long et lent travelling vers rien. La route aurait disparu. Et à l’arrêt je pourrais toucher une substance vague, une abstraction. Une absence.
Mais c’est sans compter celui qui se croit dans un bolide, qui vrombit derrière, fait ronfler le moteur, me pousserait presque. Alors le pied machinal trouve l’accélérateur, appuie à fond et dans l’embardée, les pneus crissent. Je vois la route se durcir. La brume de l’instant d’avant devient bloc. La route est un serpent et la voiture file sur ses anneaux qui se contractent et l’expulsent. Propulsée. Le paysage devient flux et disparaît, fondu-enchaîné dans ma vision périphérique. Mon cou s’est rigidifié et l’œil ne voit plus rien que la masse anthracite devant, la vitesse qui fait vibrer la carcasse jusqu’au cœur.
(avant ou dans le #11)
J’aime ces jeux d’écriture où la vitesse devient objet de perception et de réflexion. M’apparaissent quelques images d' »Un homme et une femme » de Claude Lelouch, et Jean-LouisTrintignant qui fonce dans son bolide. Très intense. Merci.
Merci Jean-Luc, je n’aurais pas pensé à ce film de moi-même