Qui se lance ? Moi ! il faut qu’elle se lance sinon elle va s’enfuir ou mourir ou les deux à la fois, elle se lève, avance sur la scène, semelles de plomb. L’homme lui tend une assiette blanche en porcelaine, il dit Ceci n’est pas une assiette, elle déglutit, hoche la tête, prend l’assiette dans la main gauche, la tient serrée entre le pouce et l’index, sent ses épaules se crisper, le cou rétrécir, elle souffle, tente d’allonger la nuque, inspire, le menton se relève, les yeux quittent l’objet, s’écarquillent, un voile flou tombe devant ses yeux, pupilles tournées vers l’intérieur elle ne voit plus grand chose, elle expire, le temps s’arrête, Ma pauvre fille, mais qu’est-ce que tu fais là ? le silence écrase tout, une voix déformée lui parvient de très loin C’est parti ! elle inspire, la main gauche tressaille, se rapproche de la droite, s’ouvre, le pouce et l’index s’écartent, libèrent l’assiette qui bascule dans la main droite qui la saisit, se crispe, elle expire, gouttes de sueur sous le nez, elle glisse la langue entre ses lèvres, gorge sèche, elle déglutit, elle inspire, si l’assiette n’est pas une assiette alors qu’est-ce que c’est ? elle expire, tout est noir, rien ne vient, c’est comme tomber dans un trou, le corps se tasse, le cerveau s’éteint, elle inspire, bascule lentement d’une jambe sur l’autre, transfert du poids, elle déplie les articulations des pieds l’un après l’autre, orteils, coups de pied, cheville, danse lancinante, quasi immobile, l’assiette tenue devant le corps à bout de bras devient le balancier d’une horloge qui bat le temps pendant qu’elle cherche ce qu’elle devrait faire depuis que l’homme a dit Ceci n’est pas une assiette, mais alors qu’est-ce que c’est ? dans un mouvement quasi imperceptible de la tête, le regard cherche, il envisage le lointain, le proche, la droite, la gauche, le bas, le haut, peut-être que quelque chose s’éclaire soudain dans ses yeux, ses sourcils se relèvent, la bouche s’arrondit, et si c’était une auréole ? un miroir ? un volant ? un papillon ? un chapeau ? non, non et non, Mais qu’est-ce que je fais là ? elle expire, c’est une assiette voilà, une assiette c’est tout, elle inspire, elle sent leur présence face à elle, il faudrait qu’elle fasse quelque chose de cette assiette qui n’en est pas une Ma pauvre fille, tu n’y arriveras jamais ! elle expire, lèvres crispées, mâchoires serrées, elle étouffe, replie le bras, inspire, le biceps se contracte, le triceps se relâche, elle déplie le bras, expire, épaule allongée, le biceps se relâche, le triceps se contracte, bras en extension au-dessus de la tête, l’assiette au bout de la main, elle lève la tête regarde intensément le rond blanc tout là-haut, une lune peut-être, oui une lune pleine, une lune accrochée au ciel qui tremble légèrement, elle ne respire plus, secousse du bras de bas en haut, impulse accompagnée par les genoux qui fléchissent et se tendent, les doigts s’ouvrent, l’assiette vole à la verticale, la lune monte monte vers le plafond puis redescend tandis que la main droite reste accrochée au firmament, la lune dégringole, le temps s’accélère, elle ne respire plus, elle manque d’air, la lune se fracasse au sol, le temps reprend son cours, elle perçoit à nouveau les regard attentifs des apprentis comédiens sur elle, la lumière de la salle l’éblouit, l’homme la fixe intensément, elle se baisse, ramasse les morceaux, la lune est tombée, pardon, désolée, pardon, on l’applaudit, elle ne comprend pas pourquoi, elle se réfugie au fond de la salle des morceaux de lune coupants entre les doigts. Elle entend la voix de l’homme qui dit Qui se lance après ça ? puis Ceci n’est pas un parapluie.
3 commentaires à propos de “#anthologie #36 | fracas de lune”
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une belle entente (ce qui se lance, c’est l’assiette alors) (un premier cours ?) (merci)
multiples lancements à coup sûr
merci de ton passage
Très poétique, cette image de la lune qui monte au ralenti pour retomber avec fracas