#anthologie #35 | retour sur l’envol

D’après, avant ou après la proposition 9 Envol

Intérieur jour. Un palier. Un peu défraîchi avec son linoléum orange et ses grands placards pour compteurs d’eau et d’électricité. Il manque une porte. Puis l’ascenseur. En haut des chiffres défilent lentement. Les portes s’ouvrent. Il y a un miroir. Les portes se referment. Le bruit de la machinerie de l’ascenseur comme s’il frottait contre les parois de l’immeuble. Les portes s’ouvrent à nouveau. Un couloir débouche sur une vaste pièce. Lumière. Un mur de boîte aux lettres. Extérieur jour. 

Voix off :

Cela fait quelques années qu’ils habitent là. 

Au début, c’était tout nouveau, tout beau. 

Un nouveau départ. 

Mais ce n’était pas la même chose. 

Il avait aimé où ils habitaient avant. 

Les dimanches, les gosses jouent au ballon sur le terrain. 

Extérieur jour. Un terrain vide entouré de barrières rouillées, à chaque extrémité deux rectangles d’acier. Un jardin. Des jardinières en béton avec des arbustes. Un chemin de plaques de ciment. L’avenue Henri Barbusse à Ivry-sur-Seine. Un grand immeuble blanc. Une barre avec des centaines de fenêtres. 

Voix off :

Son camarade de lycée était toujours habillé tout en noir. Il n’était pas à la mode. 

Pas des années quatre-vingt. 

Il n’est jamais monté chez lui. Il le laissait devant l’entrée. 

Il adorait Barbara. La chanteuse de l’Aigle noir. 

La rue défile, des pavillons de plusieurs époques, des immeubles. Un mur en pierre de Marne entouré de briques, ses traces et marques sur une centaine de mètres. 

Voix off : 

Il ne savait pas à cette époque, derrière ce mur dans le vieux cimetière d’Ivry-sur-Seine. 

Tous les matins. 

C’est le trajet pour rejoindre le bus cent quatre-vingt-deux. En tournant à droite. 

En continuant tout droit, c’est l’usine SKF. 

Hier la rose aujourd’hui la matraque. 

Ce ne sont plus les imprimeries du Monde. 

Un matin, un gars l’a croisé et l’a menacé d’un coup de casque s’il ne lui donnait pas dix francs. 

Là, cet arbre. 

Ou peut-être celui-ci. 

Extérieur jour : une église, une place, des immeubles. 

Voix off : 

Architecture de style brutaliste.

Il n’est jamais allé dans un de ces appartements. 

Comment peuvent-ils être meublés avec ses recoins, ses angles ? 

Y a-t-il des marches dans les appartements pour passer d’une pièce à l’autre ? 

Il n’a pas de réponse. Il n’en a jamais eu. 

Une librairie où l’on trouvait toute la collection du livre dont vous êtes le héros. 

Un écrin

Une forteresse

En son cœur, une librairie

Non, on ne se sert plus de stylos, elle a fermé. Il ne sait pas. 

Passage sous une voûte entre deux immeubles, un abri de bus. Extérieur jour et éclairage néon. 

Voix off :

Le bus cent quatre-vingt-deux. 

Il s’arrête à Charles Foix. 

On dit que c’est un mouroir. 

Seule

Sans le sou

Incinérée dans une boîte en carton aux frais de la ville.

Des immeubles de plus ou moins grandes tailles, parfois un pavillon en pierre de Marne, des panneaux de signalisation.

Voix off :

Des Espagnols

Beaucoup d’Espagnols se sont installés à Ivry-sur-Seine   

Ils sont arrivés dans la fin des années vingt début trente. 

Elle n’avait pas de chaussure. 

Plutôt dans le treizième arrondissement de Paris vers la pointe d’Ivry. Après, ils se sont installés ici. À l’origine Ivry et le treizième, c’est pareil. 

Certains sont retournés combattre Franco, parfois arrêtés et restés des années à casser des cailloux

Parfois revenus, avec les poumons foutus. Ils ont traîné ça toute leur vie et en sont morts.

Après les mariages, les naissances, les repas du dimanche, des joies asthmatiques. 

A propos de Romain Bert

J'écris pour mieux lire.

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