Voix off :
Que va-t-il advenir de toute cette pluie, dit-elle, alors que depuis une heure, peut-être plus, l’averse n’en finissait pas de l’alanguir.
Le fleuve avait disparu. La berge et avec elle la jetée. Le petit banc de pierre devant le restaurant Les Glycines. Tout était inondé.
Voix off :
Enfin on le supposait parce que l’eau était entrée dans la cour par le portail vert, comme le vert de la forêt du lieu-dit du père. Il avait disparu lui aussi. Tout allait pourrir à présent.
Un peu plus loin, le menu du restaurant flottait en première ligne, tout près de la maison.
Voix off :
Elle voulut l’atteindre. L’eau trop profonde par endroits l’en dissuada. Des fosses s’étaient formées quelques mètres plus bas. Des brochets rôdaient là comme des oiseaux postés sur les restes d’un mur. Sur les hauteurs du village, les cimes des arbres qui n’avaient pas disparu resplendissaient. Elles évoquaient des doigts qui se lèvent pour appeler au secours d’autres doigts d’un blanc cireux, gelés ceux-là, syndrome de doigts morts comme sa voix qui ne sortait pas mais qu’on entendait au loin. Parfois il faut savoir s’en remettre aux arbres. Remonter vers la maison pour chercher autre chose du regard que des torrents de boue.
De l’eau partout à perte de vue qui pousse fort le long des cuisses et déséquilibre.
Voix off :
Dès qu’elle sut son arrivée, dès qu’elle vit la voiture rouler sur le chemin qui mène au château en surplomb du village, elle franchit le seuil de la maison. Elle s’était remplie d’eau en quelques minutes, les meubles coupés en deux, une partie solidement ancrée dans l’air tandis que l’autre devenait liquide, animée par le mouvement incessant de l’eau, cascade de bois et de tissus que le courant déformait, telle une réaction chimique ayant changé tous les objets en feuilles clairsemées. Le son des bottes – les cuissardes de pêche du père – lui rappelait pourtant qu’il y avait de la matière solide au fond de l’eau, du sol où prendre appui pour ne pas sombrer.
Quand elle sut qu’il était là, elle monta les marches deux par deux, remplit une grande valise de vêtements sans savoir dans quel but précis, et poussa le lit contre la fenêtre pour se hisser et lui faire signe. D’en haut on voit son regard triste, sans pour autant que son visage exprime la moindre colère.
Voix off :
Sans doute avait-elle rêvé qu’il la retrouve et qu’il finisse par rompre les silences coupables, dit une voix.
On le voit remonter dans sa voiture.
Voix off :
Il roule sans s’arrêter, jusqu’au pied de la maison, juste avant la forêt du lieu-dit du père, dans la descente au terme de laquelle il se gare les roues dans l’eau, devant la maison, le souffle coupé, en pensant que celle que le père appelle la vieille peau vit au même moment dans une autre maison, une autre vie, loin des zones inondables, et il comprend son envie de la tuer, dit-elle, sans même entendre ses confessions, alors qu’il contemple la maison et constate que leur vie à eux est encore plus misérable que tout ce qu’il pouvait imaginer, au point qu’il entre dans la masure pris d’une rage qui lui fait contracter les mâchoires et serrer les dents. Malgré le froid et l’eau qui maculent son corps de jeune homme, il gravit quatre à quatre l’escalier qui mène à la chambre, arrache la mère à sa torpeur, au froid qui déjà la bleuit et lui a fait perdre connaissance, descend fiévreusement les marches avec ce corps tant aimé et pour l’heure inanimé, plaqué contre son dos soudain doté d’une puissance nouvelle, mais une fois dehors, une fois la mère chaudement emmitouflée à l’abri de l’habitacle, il s’immobilise quelques instants debout face à sa voiture dont le moteur continue de tourner, avant de revenir sur ses pas et de plonger tête la première dans ce magma d’eau et de boue qui, dit-elle, l’a comme électrisé.
tu as dû écrire dans la nuit ou alors tôt ce matin, déjà ta 35 en ligne… je te lis…
En fait si je comprends bien ce qui n’est pas dit, il serait question « de ne pas sombrer » et de « rompre les silences coupables »…
eh oui je comprends aussi tellement qu’on puisse souhaiter « vivre loin des zones inondables » !
tout semble prendre place peu à peu, je commence à mieux t’entendre et à voir les scènes qui te tourmentent et les lieux qui « habitent » ton travail…
à te retrouver, Camille…
Oui Françoise j’ai écrit tard et tôt ce qui fait que mon manque de sommeil devient abyssal ! Mais plus que cinq propositions alors on s’accroche comme on peut… oui tout se met en place de plus en plus et les propositions de François permettent d’expérimenter des voies d’écriture nouvelles, d’écrire un peu contre soi ! À te lire dans tes « lieux » à toi ! Bises
« Elles évoquaient des doigts qui se lèvent pour appeler au secours d’autres doigts d’un blanc cireux, gelés ceux-là, syndrome de doigts morts comme sa voix qui ne sortait pas mais qu’on entendait au loin » de belles images à la fois visuelle et auditive (la voix qui ne sort pas mais qu’on entend au loin)
« les cuissardes de pêche du père – lui rappelai[en]t pourtant qu’il y avait de la matière solide au fond de l’eau, du sol où prendre appui pour ne pas sombrer » ou comment un objet trivial signifie/symbolise la force du père (pour se donner courage ?)
Le lecteur plonge avec
merci de ne pas sombrer
Merci Cécile pour tes mots qui touchent ! Heureux que tu plonges un peu avec les miens de petits mots et promis on va essayer de ne pas sombrer quand même ! À te lire et à tres très vite !
J’ai lu la 35 puis la 07 puis la 35, il y a beaucoup de pistes autour de ces personnages, on a vraiment envie de savoir ce qui les lie ou les délie, (mais peut-être ces pistes ont-elles été explorées dans les autres propositions) « Des brochets rôdaient là comme des oiseaux postés sur les restes d’un mur » : superbe! La présence de l’eau: puissante, elle porte l’inexorable. Merci.
Merci Valérie d’avoir pris sur votre précieux temps pour lire avec autant d’attention mes deux textes. J’en suis profondément touché. Oui des pistes sans doute. J’ai commencé à bien creuser dans bien d’autres textes du cycle en effet. Et la proposition 30 de François m’a permis de commencer à organiser tout ça. Quelque chose s’écrit, sous quelle forme ça reste encore mystérieux mais on y va vers cet inexorable ! A très vite chère Valérie dans vos textes !
Il est des pistes à suivre, l’eau semble en être une. Il faudrait prendre le temps de tout relire, auteur après auteur…
Merci Perle pour ce passage précieux par ici ! L’eau oui est omniprésente dans la plupart des textes du cycle mais surtout du livre qui semble peu à peu en découler… Oui il faudra prendre ce temps là ! J’espère pouvoir m’y atteler dès août. A vous (te ?) lire donc et à très vite !