QUARTIER DU CARMEL. Il est 13h40. Deux femmes entrent dans l’église. Signes de croix. Vendeuse de fleurs sous un grand parasol. Une femme marche.
Voix off :
C’est la femme qui avale les visages
Soleil rond yeux rond tête ronde
Ciel bleu couteau
Dans l’air l’odeur soufrée du volcan
…les mots roulent dans ma tête roulent de ma tête à ma bouche mais le soleil cuit le soleil me cuit et le corps bout et les mots et mes lèvres et mes bras et mes jambes trébuchent sur le pavé à force de chercher l’ombre et un visage,
QUARTIER DU CARMEL Il est 13h50. Pharmacie. Vendeur de fruits et légumes. Ecole maternelle. Cris d’enfants. Petite place avec une fontaine tarie. Sous le manguier trois chaises en plastiques. Un banc.
Voix off :
C’est la femme à fleur de mots
Elle avance dans le feu
L’air bout l’air grille l’air cuit
Sur sa robe les fleurs poussent
Dans la tête un mot éclot
Et meurt au bord des lèvres
Evaporé
c’est la faute au soleil, c’est lui qui fait trébucher mon corps, qui fait fondre les mots au fond de ma gorge avant d’arriver à mes lèvres justes bonnes à faire le poisson oui mes lèvres comme les poissons de Denis dans le fond de la barque bouches ouvertes yeux écarquillés cuits dans le soleil tout cuit le soleil qui fait pousser les fleurs sur ma robe et ça je peux pas lui en vouloir au soleil, non je peux pas lui en vouloir de faire pousser les fleurs, Denis, il aime les fleurs alors je peux vraiment pas lui en vouloir au soleil, mais là le ciel est trop bleu et la mer et la lumière cuisent mes lèvres, et le soleil cuit et mon corps et mes bras et mes jambes
QUARTIER DU CARMEL. Il est 14h00. Le quartier est désert. Sonnerie du lycée. Rumeur de voix qui grossissent les rues du quartier.
Voix off :
C’est la femme aux mots empêchés
Toute ronde
Toute fleurie
Le corps roule vers la mer
Et dedans
Les mots qu’elles voudraient dire
Les pensées qui se prennent dedans
Les visages avalés
Le ciel bleu couteau
La brûlure du soleil
L’air cuisant
Et l’amour de Denis
alors le corps et les mots roulent pour accrocher l’ombre plus vite et saisir un visage au passage, mais les visages passent, alors je lance mon regard en rond comme le harpon de Denis et j’essaie de faire sortir les mots par les yeux de toutes mes forces que ça me ferait presque pleurer mais rien n’y fait et les visages passent et les pensées que j’ai dans la tête roulent en sons et cris et les mots restent coincés derrière le front et les joues et sortent informes jetés là juste bons à friper les visages, sauf celui de Denis là-bas sur le banc dans l’ombre et les arbres et je lui jette ma bouche vide de mots et mon regard et les fleurs rose de ma robe, et quand je fais ça, ça fait toujours sourire Denis…
FRONT DE MER. Il est 14h30. Grappes de lycées qui attendent le bus. Camions des vendeurs de bokits et d’agoulous. Bruit des groupes électrogènes. Sous les arbres près du kiosque à musique, un homme est assis sur un banc.
Voix off :
C’est la femme qui jette son corps en avant
Et fait rouler corps cœur mots
Vers la mer
Vers l’ombre des arbres
Et vers Denis
Sous le ciel bleu couteau
La mer palpite la mer crépite
Avancer
Renverser l’horizon
Cul par-dessus tête