On entend son nom et on se lève, laissant derrière soi visages assis sur leur histoire. On peut en inventer une pour chaque paire d’yeux qui déambulent entre le vide et le rien. Couloir où se fondent les pas, un pas de plus pour décider la vie, le gardien hoche gravement la tête en signe d’acquiescence.
Ouvrir la porte, dire bonjour à des gens que je ne connais pas, fermer la porte, m’asseoir devant des gens que je ne connais pas, écouter les gens qui ne me connaissent pas parler de moi comme s’ils me connaissaient déjà, répondre aux questions des gens qui ne me connaissent pas, écouter sans pouvoir rien changer à l’opinion que ces gens-là ont sur moi qu’ils ne connaissent pas, me surprendre du nombre de conseils que ces gens-là peuvent prodiguer à des gens qu’ils ne connaissent pas, accepter sans broncher, devoir s’estimer heureuse de la bonté humaine, signer quelque chose qui ne me concerne pas, dire au revoir à des gens que je ne connais pas, fermer la porte. Ne jamais oublier la tristesse de ces gens-là. Oublier.
Retourner sur ses pas, dans un étourdissement de paroles qui disparaissent et pourtant laissent trace ineffaçable. Le couloir émerge d’un film en noir et blanc, la sortie se trouve entre la machine à café et une poubelle pour les gobelets vides. On entend le gardien des choses immobiles souhaiter bonne chance. On ne se retourne pas de peur qu’il ne retrouve nos larmes.
« Ouvrir la porte, dire bonjour à des gens que je ne connais pas, fermer la porte, m’asseoir devant des gens que je ne connais pas, écouter les gens qui ne me connaissent pas parler de moi comme s’ils me connaissaient déjà, (…) » c’est beau ça fait écho. Un texte d’une grande subtilité. Merci Helena !
Merci, infiniment, Camille pour ton passage et ta lecture !
« un pas de plus pour décider la vie »
l’inquiétante étrangeté de ce texte dont il me semble reconnaitre les infinitifs
« on entend le gardien des choses immobiles souhaiter bonne chance »
le texte en italique nouveau me semble-t-il qui accroit cette sensation de vertige. Merci Helena
Comme je suis partie d’une situation bien concrète, je ne me rends compte de rien en écrivant. Ton commentaire m’élucide et illumine ! Merci, Nathalie !
déambuler entre le vide et le rien : une vraie définition de la vie (s’il n’y avait l’amour et la musique) (trop bien Helena – et le soleil et la plage…)
Tiens, je n’y avais pas pensé ! J’ajouterai la littérature ? Merci, Piero ! (oui, finalement la plage !)
Il se dégage un sentiment d’impuissance, de fatalisme, je ne sais pas à quelle scène concrète cela renvoie mais cela m’évoque un dossier administratif, renouveler un titre de séjour, obtenir une allocation, attendre une décision qui sera vitale…accepter sans broncher, devoir s’estimer heureuse de la bonté humaine. Très fort.
Oui, c’est tout à fait cela, Isabelle. Un rendez-vous de médecine du travail. Une situation pour la première fois vécue. Un décor vraiment sordide. Unique signe d’humanité: le gardien. Merci infiniment de ta lecture, Isabelle !
Helena, c’est superbe ! ces deux textes comme écrin. Et les début et fin « On entend son nom et on se lève, laissant derrière soi visages assis sur leur histoire » — « le gardien des choses immobiles… on ne se retourne pas de peur qu’il ne retrouve nos larmes. » Dire autant en si peu de mots ! merci
Merci, à toi, Gracia, pour ton commentaire ! Très touchée !
Des visages assis sur leur histoire / des yeux qui déambulent entre le vide et le rien / On entend le gardien des choses immobiles nous souhaiter bonne chance
Quel texte magnifique ! Merci !
Merci, Françoise ! C’est le meilleur compliment celui de reprendre certains de nos mots !
« laissant derrière soi visages assis sur leur histoire » je me laisse surprendre par cette phrase qui d’un coup résume pour moi notre travail d’écriture : ce qu’on prend développe amplifie et ce qu’on laisse (provisoirement (il sera toujours temps d’y revenir)
Oui ! Je n’y avais pas pensé, mais vous avez tout à fait raison. Merci !
Ne jamais oublier la tristesse de ces gens-là. Oublier.
de la nécessité de l’oubli pour ne pas sombrer et de la nécessité de ne jamais oublier, les autres. Merci beaucoup pour ce texte qu’on peut situer dans bien des lieux et donc le lecteur se sent libre et partage un ressenti, juste cela.C’est fort.
Oui, Eve, c’est exactement cela. Merci inifiniment !