1.
cité des années 60, vue panoramique sur l’immeuble aux multiples fenêtres bâti sur les coteaux de la Seine / Zoom avant sur une fenêtre en particulier : escalier 12, 7ème étage / minuscule silhouette immobile derrière la vitre nez collé au carreau
Elle lève la tête, elle sait retrouver sa fenêtre parmi toutes celles du bâtiment. C’est la fenêtre de sa chambre, orientée plein Est avec deux petits lits disposés face à face contre le mur sauf le dimanche où les lits se rapprochent pour tendre un drap par-dessus et faire cabane. Les rideaux doublés laissent entrer la lumière. Ici pas de volets. Elle n’aime pas l’obscurité.
vue plongeante par la fenêtre du 7ème étage sur un parking immense (soit pour 14 cages d’escaliers sur 12 étages, 2 appartements par étage et une voiture par appartement, un total d’environ 336 voitures) / Zoom arrière, derrière le parking une allée de marronniers, plus loin la roseraie Delbart, plus loin encore des champs et la Nationale 7
Elle se lève à l’Est mais l’essentiel de sa vie se déroule à l’Ouest dans la petite cuisine en formica, le salon aux poissons exotiques et au grand miroir où elle s’examine en entier face à la baie vitrée sans vis à vis si ce n’est une allée de peupliers qui bruissent au vent, un pré, un bois, la Seine.
2.
ville nouvelle des années 80, bâtie à l’horizontale sur une terre marécageuse aux multiples canaux artificiels bordés de saules / succession de lotissements quasi identiques (variations selon le type de prêt permettant d’accéder à la propriété, déterminant la situation économique des familles qui vivent là) / Zoom avant, à l’angle du lotissement une maison rose au toit foncé, volets et portes peints en rouge basque posée au bord du canal, entrée à l’Est, jardin à l’Ouest / tout autour une haie de lauriers, géraniums rouges aux fenêtres
Ils ont pris un crédit sur 20 ans pour acquérir cette maison. Ils ont installé leur petite fille côté Ouest dans la chambre avec balcon. Leur chambre à eux s’ouvre sur le levant, c’est aussi la chambre choisie par tous les parents du lotissement. Cela la trouble. Toutes ces vies organisées à l’identique d’une maison à l’autre.
travelling avant, passage des acacias, rue des Régalles, rond point, D50, rond point, garage Renault Dacia, restaurant chinois, rond point, avenue Pierre Mendes France, boulodrome, rond point, avenue de l’Europe, gare, rond-point, avenue des routières / succession de lotissements, de talus paysagés, un petit lac où flottent des caddies de supermarché, des canaux longent les route, des saules pleurent au ras de l’eau
A chaque retour de vacances elle constate que le paysage s’est modifié. On n’est jamais passé par là avant ? Il était là ce bosquet ? C’est quoi ce nouveau talus ? Un énième lotissement est sorti de terre, un chantier démarre, le bitume est couvert de boue. Elle sait qu’ici les ronds points, les routes, les arbres peuvent changer de place. Difficile de s’y retrouver tant la ville est mouvante. Seuls l’Est, le Sud, l’Ouest, le Nord restent stables. Et la maison aux géraniums rouges où elle tente de s’enraciner en écoutant le chant d’amour des grenouilles.
3.
ville minérale, pierre blanche, bâtie au bord de l’océan, tours, fortifications autour de l’hyper centre / remonter l’avenue des Cordeliers, passer le rond point, rue de Beauregard, rue de l’Adour / Zoom avant, maison construite après guerre, volets peints en bleu, située au bout d’une impasse / trois marches, derrière le portillon en fer forgé un écrin de verdure / façade tournée à l’Est trouée de 4 grandes fenêtres blanches à 6 carreaux
Elle a installé son lit au rez de chaussée. Elle dort la fenêtre ouverte comme sous les branches du vieux cerisier. Les volets anciens laissent place au soleil qui se lève. Elle a remarqué que le cerisier gardait ses feuilles mortes tout l’hiver, qu’elles ne tombaient qu’à l’arrivée des feuilles nouvelles. Elle aime cet arbre même s’il donne peu de cerises. Elle est heureuse de dormir au ras du sol sous ses branches depuis qu’elle est sujette aux vertiges.
la maison est composée de deux parties reliées entre elles par une porte : la vieille maison en pierres aux murs épais, la partie neuve qui date des années 2000 / au Sud le jardin est clos par un mur recouvert d’une liane au feuillage persistant à fleurs bleues et de deux vignes aux raisins blancs et noirs / au Nord une haie de laurier sauce, lilas, seringat, noisetier
Elle a peint les murs de la chambre avec des couleurs vives, le lit est installé face à la fenêtre encadrée de rideaux bariolés. La nuit, elle dort peu. Elle écrit, elle lit, elle attend que le jour se lève. Elle connaît par cœur les premières lueurs de l’aube accompagnées de chants d’oiseaux. Elle a constaté troublée que toutes les chambres des maisons où elle a dormi sont orientées à l’Est.
… l’orientation du lit , tout un symbole…qui reste stable au gré des changements de maison….permanence dans l’impermanence. L’est là où le soleil se lève…Merci pour ces trois enchainements de vie dans le temps!
J’ai aimé ces descriptions de paysages urbains et ce texte construit en fonction des points cardinaux. Aussi les descriptions des différentes formes urbaines, de la cité au lotissement et à la maison construite après guerre.
J ai aimé aussi : « Seuls l’Est, le Sud, l’Ouest, le Nord restent stables ».
Un beau voyage dans les formes urbaines d’habiter. Merci Françoise