#anthologie #35 | en voiture

Elle est assise à l’avant de la voiture, une 504 blanche. À la place du mort. Rue étroite, hauts murs aveugles sur la droite. 

Voix off : on serait un dimanche probablement, après le repas dominical, le repas traditionnel, on l’aurait aidé à débarrasser la table, elle irait rejoindre sa belle-soeur. 

La voiture dépasse une église moderne, qui tient plus lieu de la villa de lotissement que du monument historique. Église moderne dans une ville médiévale. On est dans la partie neuve de la ville. L’avenue est large, on y circule en voiture. 

Voix off : Elle penserait peut-être aux paroles de l’homélie entendue la veille au soir.  Les écoutait-elle attentivement les homélies? Elle parlerait au conducteur. Elle lui parlerait du repas, elle lui parlerait parce qu’elle aime parler, elle lui parlerait parce qu’elle craindrait peut-être aussi le silence, le silence entre eux. Elle parlerait. Elle parlerait tandis qu’il la conduirait, tandis qu’il la conduirait au verger. 

Un carrefour, un feu tricolore, à droite un bar de quartier, à gauche un étal de légumes, une coiffeuse, un marchand de fleurs. La voiture est arrêtée au feu rouge. Elle parle.

Voix off : Elle  verrait ce coin  de quartier peu familier, ce coin de quartier éloigné pour ses jambes, pour ses pieds, pour ses oeils-de-perdrix, ce coin de quartier où elle habite mais où elle ne vient pas. Elle regarderait les légumes avec intérêt, essaierait de lire les prix, de les comparer avec ceux des halles. Ce serait comme si elle voyageait, comme si elle voyageait dans cette ville où elle est née, cette ville qu’elle n’a jamais arpentée qu’à pied, sauf quand on veut bien la trimballer comme elle dit, la trimballer en voiture. 

La voiture attaquerait la côte, la rue de la renardière. Un stade en contrebas, des bâtiments scolaires, reconnaissables, et un cimetière indiqué par un panneau.  

Voix off : Enfoncée sur le siège, elle ne verrait que le ciel, le ciel depuis le fond de son siège, les pieds touchant à peine le sol, le ciel immense depuis le pare-brise, le ciel dégagé, le ciel qu’elle ne voit pas depuis son balcon, sa ruelle aux murs hauts, étroits, sombres, le ciel dégagé d’un dimanche après-midi.  

La voiture ralentit au 20 rue de la vigne, il sort de la voiture, ouvre la portière du côté passager, lui tend la main pour l’aider à s’extirper de son siège, de la voiture. 

Voix off : Un palan, elle dirait. Un palan, il me faudrait, elle dirait. Et puis encore, fait pas bon devenir vieux, elle dirait. Et elle prendrait la main tendue et elle se laisserait hisser, lever, délivrer de ce siège dans lequel elle était enfoncée, ce siège de voiture, elle qui ne sait que marcher sur ses pieds. 

(en lien avec #32)

A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...

Laisser un commentaire