Atterrissage à Saint-Denis.
Il débarque dans l’aéroport surpeuplé. Il a les traits tirés de celui qui n’a pas fermé l’œil durant les onze heures de vol.
La voiture louée l’attend sur le parking. Il démarre. Embouteillages typiques de la capitale.
Le vol 467 d’Air France en provenance de Paris l’aurait déposé à 12 h 30 sur la terre réunionnaise. Sur l’esplanade du Barachois, il aurait admiré la ville coloniale, les villas blanches fleuries, les constructions modernes, les immeubles administratifs. Il aurait vu tout cela dans une brume de chaleur estompant les lignes droites, les angles des bâtisses, et les silhouettes d’étudiants traversant n’importe où sur le macadam.
Au rond-point, il emprunte la route du littoral et non la nouvelle qui surplombe l’océan Indien. L’ouvrage d’art impressionnant l’accompagne durant le trajet, plusieurs kilomètres où il faut rester attentif aux débordements des véhicules de toutes sortes sur cette autoroute bondée. Sur sa droite, l’océan roule ses vagues brunes.
Tout s’éclaircit au fil de la route et il retrouve l’horizon bleu rassurant de la mer.
Il aurait pris la route du littoral, celle-là même qui venait d’être construite au pied du Cap Bernard. Il aurait reconnu qu’elle remplaçait avantageusement celle, sinueuse, dangereuse, de la montagne. Mais celle de la montagne, une image de carte postale ! On y croisait des piétons allant d’un village à l’autre, des femmes qui revenaient de la rivière, ballot de linge sur la tête, un bras pour le tenir en équilibre, il aurait aimé se souvenir de leur allure altière.
Ravine blanche, ravine des cabris, bois d’olives, ravine du ruisseau, ravine du Trou, ravine du Cap, ravine du Petit Etang, ravine du Grand Etang, ravine de la Chaloupe, Bras Mouton, Souris Chaude, petite ravine, ravine Cocâtre, ravine des Trois bassins, ravine Tabac, ravine de la Saline, Bras de l’Ermitage, ravine de l’Ermitage, Plateau Caillou, bras Saint Gilles, ravine Saint Gilles, ravine Etang Saint Paul, ravine des Galets, ravine à Marquet… Tous lieux-dits qui se succèdent le long de l’autoroute.
Il aurait été séduit par les maisons, ces cases ornées de lambrequins qui leur donnent un air de fête, anciennes paillotes où vivaient les exilés de l’époque coloniale. Il aurait pensé revenir ici, il se le serait promis. Il se souviendrait des marchés aux étals couverts de litchis, de mangues, de papayes vertes, de pitayas aux écailles couleur fuchsia, à la chair rose ou blanche, de jaques qu’il faut battre pour en attendrir la pulpe. Il aurait dans l’oreille le parler créole des pêcheurs vantant leurs bichiques pêchées à l’embouchure des rivières, débitant un espadon à même une natte posée sur le sol.
Etang-Salé. Il a roulé près d’une heure trente pour se rendre sur la côte ouest de l’île.
Les filaos lui ont tenu lieu de paysage entre l’autoroute et l’océan.
L’air est frais. Il doit encore grimper la route du Cap qui surplombe la ville.
Silos sur la gauche.
Ferme de poulets, on entend les piaillements des oiseaux.
Panneaux indiquant « ici poulet lacour ».
Il est arrivé.
Merci pour ce voyage et cette lecture dominicale Marlen
Mais c’est moi, Clarence, qui te remercie pour ta lecture dominicale !
(sans tout comprendre – sans tout connaître) on a l’impression d’avoir déjà vu ça quelque part – probablement en retournant dans cette contrée-là qui a l’air d’être un peu différente et tout à fait la même… sans la connaître: magnifique quand même
oui, Piero, le personnage (lui ou un autre ?) est dans un présent et dans un lieu que j’évoque au passé alternativement… Merci pour ton passage par chez moi !
« Il se souviendrait des marchés aux étals couverts de litchis, de mangues, de papayes vertes, de pitayas aux écailles couleur fuchsia, à la chair rose ou blanche, de jaques qu’il faut battre pour en attendrir la pulpe. Il aurait dans l’oreille le parler créole des pêcheurs vantant leurs bichiques pêchées à l’embouchure des rivières, débitant un espadon à même une natte posée sur le sol. » je m’en souviendrai à présent. Merci Marlen pour ces images d’une voix
Merci, Nathalie, j’ai le souvenir dans l’oreille et les yeux, à partager et c’est tant mieux !
L’alternance des modes de conjugaison indicatif et subjonctif dédouble le fil narratif. C’est très étrange, je trouve, ça place le lecteur à deux endroits à la fois. Réussi, à dire vrai. Merci.
Merci à vous, Jean-Luc, je suis d’autant plus contente de vous lire que mon intention est que l’on soit dans deux présents différents en tout cas si ce n’est en deux lieux.
…. un voyage sans bouger… magie de l’écriture qui donne au lecteur des ailes! merci!
Oui, c’est un peu ça ! Tant mieux pour les ailes, Eve, merci à toi de ta lecture.
Très beau texte et merci pour la photo.
De rien, chère Emilie ! Merci à toi.