#anthologie #34 | histoire de proportions

Une chaise en bois, une table, une tasse de café. Je me disais il ne distingue rien d’autre à cet instant que ces éléments qui appartiennent à son univers proche. Je me disais il est plongé dans sa pensée et l’environnement autour de lui assis dans ce bar existe si peu. Tout considérer hors de proportion. Je ne sais pas encore répondait-il comme s’il entendait mes réflexions. 

Coupez.

Il cherchait du regard un détail dans le décor du bar où il aurait pu accrocher une piste lui permettant d’esquisser une réponse. Je ne sais pas encore répétait-il. Je suivais ses yeux avec les miens. Je lui disais le miroir derrière le comptoir me fait penser à une scène de western dans laquelle on attend le moment où il allait voler en éclats. Je souriais il souriait. Trouver la juste proportion pour considérer la chose. Je ne sais vraiment pas s’excusait-il.

Coupez.

Il y avait aussi le distributeur de sucres en morceaux posé sur le comptoir le lampadaire dans la rue le visage d’une inconnue effleurant notre table à son passage pour rejoindre des amies au fond de la salle. L’agitation le perdait. Tu reprends un café m’adressait-il sans que je sache s’il s’agissait d’une question ou d’une injonction. Et de chercher à capter le regard de la serveuse pour lui passer commande avec une main. Deux doigts levés puis l’index désignant une tasse vide disaient deux autres cafés. Le sourire disait s’il vous plaît. Qu’est-ce qu’on disait ? Où trouve-t-on la proportion ?

Coupez.

J’aurais pu lui dire de continuer à revenir en arrière. Qu’il n’était pas allé au bout du chemin retour. J’aurais pu aussi lui dire je crois que tu as fait assez de chemin. Tu es arrivé au point zéro tu peux reprendre ta marche en avant. Mais je lui ai dit merci pour le café. Je lui ai dit ça. La proportion des choses. Je crois que j’aime avancer en revenant en arrière plaisantait-il. En une seule phrase les lumières du bar l’animation la couleur la musique avaient disparu. On était de nouveau tous les deux face-à-face. Je n’en étais pas très sûr en ce qui me concerne.

Coupez.

Je disais comment tu peux savoir que tu es revenu à zéro. Il souriait à nouveau. Je regarde le compteur. C’est comme ça qu’on fait, non, on regarde le compteur ? Ça sert bien à ça un compteur ? Non ? Il disait ensuite plus sérieusement qu’il le saurait instinctivement. Je le saurais instinctivement de la même façon que j’ai su que je devais revenir en arrière. Un peu facile je lui répondais. Rien n’est compliqué. Une simple histoire de proportions.

Coupez.

Je lui ai dit je ne peux pas t’aider. Il m’a dit tu ne peux pas m’aider. Je lui ai dit on peut parler quand même ça aide. Il m’a dit c’est vrai. Je lui ai dit pourquoi. Pourquoi quoi ? Pourquoi tu veux revenir en arrière ? Parce que je suis fou sûrement. Je crois pas que tu sois fou. Qu’est-ce que tu en sais ? Je ne trouve pas que ce soit une idée de fou. Tu es peut-être fou toi aussi. Peut-être. On est deux fous et on écluse les cafés comme si ça pouvait nous aider. Ça nous aide peut-être. Peut-être.

Coupez.

Je ne distinguais plus ce que je pensais de ce qu’il disait. Je regardais le compteur il n’était pas encore à zéro. On avait encore du chemin à parcourir. On a repris du poil de la nuit et on est reparti.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

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