# Anthologie # 32 | superposition d’images

Au sortir du métro encore deux cent mètres  il pleut c’est bien ma veine en veste légère et sans parapluie je courbe les épaules les pavés luisent sous le feu des vitrines éclairées Petit bonhomme vert je passe et laisse le Monoprix derrière moi les voitures font un bruit de salive caniveau rempli d’eau pieds trempés vitrine du magasin Clarks bardé d’affiches rouges Liquidation 60% jusqu’à fermeture l’eau ruisselle me gifle le tabac tenu longtemps par un italien lunatique et macho qui a vendu à un jeune couple d’asiatiques donc envie soudaine de cigarettes mais tabac fermé tout est fermé tout dort dans ce faubourg habituellement tonitruant un magasin de prêt à porter en liquidation lui aussi n’y suis jamais entrée tant de boutiques de la rue ou ne suis jamais entrée Autrefois c’était le faubourg du meuble et à peine deux survivants où n’entre jamais non plus qu’aurais-je à faire de meubles de style autrefois quand j’étais toute jeune les rues adjacentes bruissaient de frottements de papier de verre, de bruits de scie marteaux et clous il y avait des ateliers partout, le MK2 était un cinéma où seuls des hommes entraient la tête entre les épaules tout près le café Rey longtemps survivant mais devenu Milou c’est moins classe Celui sur la place, la Tour d’argent sans une étoile au Michelin mais des cabines téléphoniques pour appeler les parents et surtout le petit ami connaissais très bien la dame pipi qui s’occupait aussi des cabines et derrière, là où se vautre aujourd’hui l’Opéra était l’ancienne gare devenue un hall d’exposition où se tenait une fois l’an un salon du livre marxiste…   Au coin du faubourg j’ai vu s’installer le show-room Roméo le comble du kitsch criard opulent Louis XV et plexi en épousailles dorures et cuirs à outrance qui faisait face au cinéma, style lupanar face au ciné porno disparu tout pareil Avoir quitté ce quartier pour revenir y vivre vingt cinq ans après superpose sans cesse les images d’autrefois sur aujourd’hui  autrefois ma rue était une succession d’ateliers, bronziers ébénistes, l’animation manquait, les boutiques étaient rares, enfin voilà la minuscule échoppe de prêt à porter cheap (sentier chinois) la seule à prospérer dans le périmètre, des souliers dorés scintillent dans la vitrine Jonack, un matelas abandonné se gorge d’eau je fais un écart, sur ma droite les arbres du square Trousseau dégouttent abondamment je pénètre dans ma rue étroite et sombre aussitôt mes pas résonnent je déteste entendre ça je me sens suivie c’est l’écho de mes pas tempo de la solitude Je me tords un peu les pieds sur les pavés descends sur la chaussée les pavés y sont plus réguliers, plus plans Un Delivero me frôle m’abandonne dans son sillage glacé je passe sous la petite lanterne du restaurant kurde et puis m’enfonce dans le noir le long des voitures alignées comme des enfants disciplinés J’entrevois mon immeuble -construit l’année de mon départ pour la banlieue- je souffle ce sont les derniers mètres je  me retourne une dernière fois A mon approche le hall s’allume révèle toute la poussière déposée sur la plante verte J’ouvre la boite aux lettres  dont j’ai déjà relevé le maigre courrier ce matin un réflexe  Je me retourne sait-on jamais un visiteur du soir mal intentionné J’avais dix ans dans l’escalier de l’immeuble un panier de courses au bout du bras la bouteille de lait qui chantait et soudain une main dans ma culotte L’ascenseur est toujours plus long à descendre le soir  ses portes lambinent pour  se fermer  Je me détends en introduisant la clef dans ma serrure je referme aussitôt derrière moi je vais ranger mon manteau dans le cagibi Maman y est encore toujours assise sur un tabouret avec une bougie éteinte  entre les mains 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

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