C’était la seule fois. La seule fois à Paris. La seule fois c’était le marathon. C’était un défi, un pari entre nous. On avait passé la nuit en auberge de jeunesse. Pas d’organisation ni de défraiement, on avait fait ça entre nous, juste pour le fun. Première fois le métro, première fois le Tour Eiffel, de loin. Première fois cette foule et les méandres parisiens. Levés aux aurores, bien couverts parce que le froid d’avril nous saisit. Bientôt, on se déshabillera, la chaleur de la course gagnera sur les températures extérieures, l’énergie, l’excitation de courir ce fameux marathon de Paris. Nous longeons trottoirs, brasseries, des types boivent des cafés, des camion-bennes sans doute leurs derniers enlèvements dans le quartier, un homme achète le journal à un kiosque, un autre regarde sa montre. On est pourtant dimanche. Qui regarde l’heure un dimanche matin ? Celui-ci court son footing en crachant ses tripes et nous regarde l’air vaguement honteux. On s’engouffre dans la première bouche de métro, Belleville. A cette heure dans les couloirs, dans les grands correspondances, beaucoup de coureurs, jogging et chaussures, pas de doute, on se reconnaît. On est dimanche mais jour de pointe, métro presque bondé, on se croirait au 14 juillet, à ce qu’il paraît ! C’est ce que disent des gens en rigolant en tout cas. On se salut, on se sourit. On sera concurrents bientôt mais dans la même course. Alter ego pris dans le même élan. Ce qu’il faudra c’est tenir. De plus en plus de coureurs dans les rames du métro. Un groupe, une communauté. Une cause commune. La course qui nous porte. C’est l’avant. L’après, on ne sait pas. Il y aura sûrement des abandons, des blessures. On n’y pense pas. Des gens, non coureurs nous regardent. Certains nous encouragent. D’autres se contentent de nous dévisager. Des quidams qui vont bosser ou rentrent de soirée. II est encore tôt. Le trac, le nœud dans l’estomac à mesure qu’on se rapproche du point de rendez-vous. En moi, je pense point de chute. A un moment, je me referme, je deviens sourde aux paroles des autres, à leurs visages, concentrée. Je régule ma respiration, je ferme les yeux à demi. Je ne sais pas ce que seront demain et après-demain, je m’en fiche. Dans une petite heure, on s’élancera. C’est tout ce que je sais.
(parti pris de l’avant plutôt que de l’après événement)