Ils les ont mis dans un petit bus. Il y avait l’excitation de l’ailleurs, des rires des cris, cette sorte de joie au bord de la panique que les départs en vacances déclenchent chez les enfants. Des chants, comme chez les scouts, même rythme militaire sournois qui mime la camaraderie. Tout le monde a son drapeau ? Frau Künzi ne l’a pas, Frau Schmitten l’a fourré sous sa blouse, Herr Blumenthal tape sur la tête de Maria qui rigole qui rigole, c’est jour de fête après tout. Wär vo Ihne isch denn schon mol uf em Grütli gsi? On a laissé tomber le Hochdeutsch pour l’occasion, le 1er août c’est dialecte et cervelas. Personne. Personne n’a jamais été en haut du Grütli, personne n’a pris le train jusqu’à Lucerne, jusqu’à Brunnen, puis le bateau oh-comme-c’est-joli-vous-avez-vu-les-montagnes. On a vu. Ça fourmille de rouge, de blanc, ça sort les bouteilles de Fendant. Nei das isch leider nid möglich Herr Tschudi, Sie wüsse jo Sie dörfe nid… Oui qu’ils le savent, qu’ils n’ont pas droit à. Mais ils essayent, c’est jour de fête après tout. Et puis quand l’excitation retombe, il reste quoi à part se cogner aux interdits ? Au moins ça fait mal. Ça rappelle qu’un jour on a eu droit, ça enclenche le grand salto arrière pendant que, sur la colline, les cors des Alpes mugissent leur couplet annuel. C’est beau pourtant, ça pourrait l’être, l’herbe est très verte, le lac très calme, les vaches ont leur cloches, un chien court dans le pré, deux petites filles tapent dans leurs mains croisées, voix qui grimpent Aram sam sam / guli guli ram sam sam – si ce 1er août ravivait suffisamment l’image d’autres feux, d’autres embardés du cœur, si on pouvait soudain avoir accès à la première fête du village, là-bas, dans l’autre Suisse, lorsqu’on l’a rencontrée… il y avait… peut-être là, derrière un comptoir, à la tireuse à bière… il venait de passer son permis de conduire? Peut-être… il y avait… une robe un peu ample, bleue et beige… ils venaient de faire les foins? ….peut-être pas… les mouches rôdent, devant les yeux, dans le crâne… il y avait… non. Non il s’est trompé. Il n’y a rien. Juste une petite troupe de curieux, quelques fanatiques, des touristes; des fonctionnaires du souvenir. Commémorer, comme si. Wie wenn das no öbbis bedüte würd.
Étrange instant. Je connais si peu la Suisse et sa fête nationale, je ne connais guère plus la langue allemande mais je perçois ce moment étrange qui flotte aux sons des cors. Et cette phrase : Wie wenn das no öbbis bedüte würd, que je suis allé traduire sur Google parce que oui, cela a de l’importance.
C’est très vivant et rythmé bravo
Merci, Catherine, Jean-Luc, d’être passé·es dans ce moment effectivement un peu flottant entre mémoire collective et mémoire individuelle. Ce pays qui est le mien m’est parfois entièrement étranger – heureusement il y a les mots….