#anthologie #32 | elle sur le banc

Texte à couturer avec les propositions #05 / #13 / #27 / #29 / #31

Elle est assise sur son banc. Toujours le même. A l’ombre des arbres. Elle y est bien quand il fait chaud. Et puis elle aime sentir les racines sous le béton renflé et fissuré. Elle est arrivée très tôt pour profiter de la fraicheur matinale, et parce que Denis lui a dit qu’il allait peut-être venir. En attendant, elle croise ses mains sur sa robe fleurie et regarde. A l’affût des visages, prête à les harponner avec son grand sourire et ses grands yeux. Mais aujourd’hui, elle sent bien que c’est différent, que quelque chose d’inhabituel se prépare. A partir du rond-point, la route du Front de mer est fermée à la circulation. A la place, de grands barnums. Des gradins. Des hommes en tenue militaire. Avec des médailles. Des gens bien habillés. Un tapis rouge sur le bitume. Elle sent bien qu’on fête quelque chose, elle essaie de se souvenir mais elle ne sait plus quel jour on est. Elle demandera à Denis. Denis, il sait beaucoup de choses. Elle tourne la tête et ouvre grand ses yeux, croit reconnaitre un visage alors elle tend une main et sourit largement mais les joggeurs ne font pas attention. Ils jettent tout de même un coup d’œil eux aussi sur les préparatifs, heureux surtout de courir sans le bruit et l’odeur de la circulation. Certains s’arrêtent un temps, regardent et puis repartent. Dans l’air, des bruits de voix dans le micro. Elle se demande si quelqu’un va chanter. Elle se souvient de ce moment très spécial sous le kiosque à musique, plein de musiciens, une femme magnifique dans une robe rouge qui chantait avec un large sourire, et la foule, cette profusion de visages et Denis avec qui, sous les arbres, elle a dansé. Des bruits de micros, et soudain ça hurle aigu dans ses oreilles. Elle ferme les yeux et bouche ses oreilles. C’est comme ça que Denis la retrouve. Recroquevillée, aveugle et sourde au Front de mer. 

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !