#anthologie # 32 | derniers préparatifs

Tout est presque prêt. Chaque fois, on croit que c’est la dernière, tant la grande fête, légère et joyeuse pour ceux qui viennent voir, demande du travail — organisation sans failles, respect de chaque étape, engagement des bénévoles, chacun à sa place, apportant son savoir-faire. Ce n’est pas encore la rumeur du départ, le regroupement dans le bourg, les instruments qui s’accordent pendant que les vieux tracteurs un peu poussifs, les moissonneuses-batteuses d’autrefois prennent place, près des groupes et cercles colorés dont on déchiffre l’origine dans les costumes qui ont traversé le temps après avoir été étudiés, repris, reconstitués, portés. La trame de la journée depuis une quarantaine d’années reste la même mais imperceptiblement quelques points d’entrée se fragilisent. La grande famille des bénévoles s’étiole mais aux dernières nouvelles, il semblerait que la relève soit quand même assurée Les anciens, ceux qui entretiennent les machines, fatiguent. Comme chaque fois, il faut tout vérifier — moteurs, courroies de transmission — faire des tests pour que rien ne lâche quand les épis se retrouvent sur le tapis. Auparavant, les panneaux ont été installés dans le pays pour annoncer l’événement. Il va falloir des bras pour installer sur le terrain dédié les podiums, les barnums du village d’artisans. Le champ du maire n’est pas moissonné, la décision pas encore prise : il a beaucoup plu et le blé risque de noircir. Les gerbes, la meule qui va être formée près du frêne tutélaire, les bouquets des enfants, le pain, dépendent de tous ces grains, arrivés tant bien que mal à maturité. Sur le terrain, les équipes vont s’affairer pour accueillir, commenter dans le micro, faire cuire, servir, compter, installer les derniers éléments dans le moindre détail, sans oublier de prévoir l’après — vaisselle, démontage, rangements, chasse aux déchets, effacement des traces. Seul restera jusqu’à la prochaine fois le frêne tutélaire sur le tronc duquel, comme chaque fois à la toute fin, un amateur prendra discrètement, après le départ des participants, la couronne d’épis tressés qui marquait l’ouverture de la fête.    

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.