#anthologie #32 | comme chaque matin

Le bruit du balai précède celui des camions de ramassage d’ordure. Il entend les fibres synthétiques frotter le trottoir, pousser les détritus, en faire de petits tas avant de les pousser dans la large pelle plate. C’est à ce moment là qu’il apparaît. Il ne dit rien, il s’appuie sur le garde-corps, torse nu et regarde le balayeur. Il est encore tôt, la boulangerie n’est pas encore éclairée. Dans l’atelier, les premières fournées sont déjà dans les panières. D’ici un quart d’heure, une demi-heure peut-être, le Sénégalais va passer dans les immeubles, sortir les poubelles, les aligner sur le trottoir pour que les éboueurs n’aient qu’à les faire basculer dans le camion. Il aime le bruit des vérins hydrauliques, le moteur qui ronfle, le gars qui crie, le chauffeur qui accélère jusqu’aux prochaines poubelles, les ripeurs qui courent quelques mètres, agrippent le camion et sautent avant qu’il ne s’arrête aux poubelles suivantes. Il les suit jusqu’au Monop. Après, il ne voit plus, Le Sénégalais lèvera les yeux, ils les lève toujours, et saluera de la main. Il sait qu’il est Sénégalais parce qu’il a vu une affiche, un appel au don. Il va prendre sa retraite et rentrer au pays. Les voisins ont lancé une cagnotte. Les balayeurs ne lèvent jamais les yeux. De temps en temps, ils s’arrêtent et regardent leur téléphone, changent la musique ou scrollent quelques vidéos. Leur regard est vers le bas. Il voit aussi les premières femmes à partir de chez elles, s’asseoir sur le petit banc de l’abribus ou descendre les marches du métro. Il se demande pourquoi ce sont les femmes qui partent les premières, avant même les gars du bâtiment qui attendent au feu, capuche sur la tête, sac à dos basic-fit sur le dos avec la gamelle, écouteurs aux oreilles, que le traffic ou le jumper les prennent. Il y a des peintres, des charpentiers, certains ont la veste de la boîte. Ce ne sont jamais les mêmes mais le feu tricolore, en bas, est un point de rendez-vous. Il mesure leur attente en nombre de fois ou le bonhomme passe au vert. Dans le platane, les merles sifflent depuis un moment. Les premiers vélos passent sur le boulevard, quelques trottinettes. Ce ne sont pas encore les parents qui trainent ou portent la marmaille jusqu’à l’école avant de filer au boulot. Les vélos n’attendent pas. Ils déposent et filent. Les autres parents, les piétons, s’accumulent progressivement jusqu’à l’ouverture. Les voitures arrivent alors, bloquent la circulation le temps de décharger et repartent. Il regarde tout ça. Il reconnait quelques mères qui s’attardent autour de la poussette du dernier, quelques unes portent un foulard. Elles ne sont pas les moins souriantes. Parfois, elles le saluent. Le clodo du Monop passe avec ses sacs. Toujours après la sonnerie de l’école. C’est l’heure à laquelle il s’enferme un moment dans les toilettes. Il y chie, s’y lave, ressort le visage frais, cheveux mouillés. Plusieurs fois, il a pensé lui proposer de venir prendre une douche chez lui mais le clodo est sauvage, il ne parle pas, ou peu, à l’approche du 14 juillet ou de la fête de la musique, il disparait. Une tourterelle roucoule. Il fait une petite toilette, se coiffe, se brosse les dents, enfile un tee-shirt et descend chercher le pain. La boulangère lui dit bonjour, répète ce qu’il vient de dire sur le ton de la question, une demi baguette?, lui donne le prix lui dit merci et lui souhaite bonne journée quand il lui file l’appoint. Il marche un peu sur le trottoir, jusqu’à la place. Il a encore deux jours à attendre pour toucher sa retraire. Il viendra boire un café en terrasse. Là, il reste un moment à regarder passer les inconnus, à trouver belles les femmes, à faire un petit bruit avec la bouche, un claquement, lorsque passe un chien. Puis il rentre, pose le pain sur la table de la cuisine et se remet à la fenêtre jusqu’à 11 heures.

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