#anthologie 32 | à deux pas d’ici

A deux pas d’ici, façon de parler bien entendu, mais tout près ! – le lieu d’enchevêtrement des escapades urbaines, leur nœud et plus si besoin. Le pôle multimodal. Il est CAPITAL de regrouper pour simplification, rationalisation et bien sûr efficacité, confort, gain de temps !  –  CAPITAL pour les usagers qui pourtant constatent (mais ailleurs ? Pas les mêmes ? En vacances ? Bref !) la multiplication des gares fermées et des horaires impossibles (aller bosser c’est jouable mais revenir…)  Les huiles du Conseil Général, le Maire, le Préfet et tous les seconds couteaux l’ont bien rappelé entre les congratulations ferventes lors de l’inauguration, il y a peut-être cinq ou dix ans : dévouement sans faille des uns, soutien et financement sans lesquels des autres, énergie visionnaire du premier, merci aux équipes, bien sûr les équipes – travailleurs acharnés – délais – bien-être – coûts – la taupe qui a creusé – mobilité –  prouesse technologique – savoir-faire – innovation – ambition pour la métropole – la région !

 Depuis tout le monde a oublié la chaleur estivale, la sueur sur l’arête du nez sous casquette galonnée, la cohue brouillonne et bruyante autour du buffet : nappes en papier, blanches, pain pâté tomates-apéritif, rondes, pain surprise assiettes de toast amuse-gueule flutes de champagne, bulles –  bifurcation vin blanc, rouge et rosé possible, dans les cubis self-service, petites taches sous le robinet en plastique, jus de fruit et eau pétillante pour les abstinents, les pisse-froid, les malades, entre les bouquets de fleurs, les sentinelles à portée de reviens-y – pardon s’il vous plaît, j’en prendrai bien une autre – celle prise d’un étourdissement, allongée – écartez-vous, laissez là respirer, évacuée dans le pimpant de secours aux victimes rouge claquant, un beau brin d’intermède – qui c’est ? s’quelle a ? elle a abusé tu crois ? – mais quand même… Tous rassurés le lendemain dans le journal, un coup de chaud, un simple coup de chaud, sans gravité, une belle cérémonie, soulagement et satisfaction générale. Sur la photo les rassemblés autour du coupeur de ruban, avec les sourires, les battoirs en salves d’applaudissements, inaudibles bien sûrs, mais en légende : « enthousiastes » « copieux » « nourris » comme si eux aussi.

Le MM c’est le nom familier depuis (ça montre bien qu’on est d’ici) : – on se retrouve au MM ? S’ensuit l’heure, le niveau, éventuellement la boutique, chacun ses repères, ses habitudes : – devant la brioche dorée ! – qui sent un peu le gras, le matin ça écœure, toujours deux trois, réclament le croissant ou le pain au chocolat, payent, mâchent trois bouchées, passent. Juché sur le tabouret, pieds calés sur la barre, jambes écartées en triangle, journal déployé comme une voile devant le nez, expresso sur le guéridon alu, pas pressé, lui. – Devant la gueule des escaliers mécaniques, jusqu’aux intestins carrelés du métro. Rasades, reflux. Goulées de têtes dos nuques, ceux qui choisissent l’escalier (sportif, entretien, retard) vont plus vite, en tressautant, courant presque au-dessus des marches, enjambées de sept lieues, plus lents à rebours, dernière occlusion avant jaillir en surface. Dessous ça s’amasse sur les quais, trois quart de téléphone dans la poche du jean ou collé devant les yeux : caresse d’un doigt ; ça s’amasse sur les quais derrière les parois transparentes, ça s’écarte en bloc quand la rame arrive, se rue dans l’entonnoir, murmure magique de corps souterrains, épaules contre épaules, odeurs, poussière ; dedans ça va dodeliner, parler, lire, baisser les yeux : je vous demande rien messieurs-dames je vous propose les jeux de la distraction, vous donnez ce que vous voulez vous choisissez dans la pile sur le bras, c’est pour agrémenter.

 Dessus les bus tournoient comme des vautours. Ou vol stationnaire du faucon-pèlerin ? Vibrant. Grondement sourd. Crachat. Le chauffeur descend salue le remplaçant qui attend, même ensemble bleu-marine, pantalon, gilet, chemise blanche. – Bien passé ? Oui je rentre, tranquille ! – Bonne journée. Le bus s’éloigne au bout du MM, glisse sous la voûte sombre du parking : ça monte, parechoc contre parechoc après la borne aux tickets, en cas d’incident appuyez sur le bouton vert, traces noires sur les murs, passage étroit, longue ascension dans le colimaçon serré,  étage après étage : Niveau 1 plein, Niveau 2 plein, niveau 3 plein, là-haut les flaques. Depuis des jours la pluie, déjà les fuites ! – construit en dépit du bon sens ! – Les économies toujours ! Depuis là-haut on voit

            la verrière que sûr, on remplacera un jour par des panneaux solaires, dessous les flopées de rails, la partition du paysage urbain, la fanfare des départs et des arrivées – éloignez-vous de la bordure du quai, le TGV 78410 en provenance de Marseille va bientôt entrer en gare. On entend bien depuis les fenêtres des immeubles crasseux et leurs barbes de linge sur l’étendage, derrière les vitres ça nous fait des envies de voyage, plus du tout depuis les vitres insonorisées de l’université qui a gommé l’ancienne prison.

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