J’aurais bien envie de me taire. Ce serait bon une chape d’argile, ou de chaux, elle pourrait être une simple sourdine ce serait déjà ça, l’espace d’un papier froissé pour faire virer les mots en murmures. Puisqu’il faut parler, puisque tu écoutes de tout ton chagrin – depuis mon empreinte dis-tu, mais que savent les vivants des traces qu’ils gravent parfois eux-mêmes, juste pour ne pas déraper sur le lisse de l’absence ? – puisqu’il faut se tenir là, tout droit dans le battement léger de ton tympan, d’accord mais à bas bruit alors, là où ce que je dis pourrait être aussi au présent : le vent dans les feuilles, le lézard qui file dans le soleil, l’écho au loin d’un rapace ou la neige froissée tôt le matin par une semelle déjà orpheline. Tu entends ? Pas vraiment ? Tant mieux. J’ai mon grain d’indécidable. Il n’y aurait qu’un seul message qui vaille, d’ailleurs : tu sais déjà tout. Sauf qui je suis. Dans le mouvement d’adresse que tu fais monter autant des tombes et de la lumière si blême du souvenir que des livres, des chansons, des regards vers l’intérieur du ventre, j’ai des têtes de nous. D’amour en amalgame. Je sens qu’au ras du sol, là où la perte s’enracine, je me charge de corps éclatés qui bientôt en moi ne font qu’un. Accordage des voix qui bruissent ensemble dans un fracas d’images, de regrets, d’élans, de saveurs partagées. L’individu est une invention des vivants. Est-ce si difficile à comprendre ? Tu voulais que je te parle, tu voulais que je sois lui ou lui ou elle, tu voulais que je sois une silhouette, la personne perdue. Je suis ces voix englouties qui ne t’appartiennent pas toutes. Pardon. C’est drôle, c’est le mot qui nous vient, qui se forme sur ces lèvres d’oubli. Pardon, oui, de t’avoir laissée seule dans la langue, dans le jour qui se lève, pardon de ne pas revenir suffisamment dans tes rêves. Tu entends comme pardon ne dit pas la même chose lorsqu’on le murmure ? Je te dis : ça ira, sans moi sans nous, ça ira. Déjà je nous tais – et tu marches vers d’autres voix.
(d’ailleurs, parfois, sur une photo ou une image, on en décèle le grain – à bas bruit, sans vraiment l’entendre) (vraiment beau)
faire virer les mots en murmure…
Je suis touchée par ce qui se dit et la façon de le dire. C’est à la fois fort et délicat. Merci !