#anthologie #31 | Souffle 2

Je n’ai pas grand-chose de plus à te dire. Je pensais avoir dit bien plus que je pensais le faire. Tu es devant ton clavier comme devant une tablette de ouija. Je suis certaine que ce que je t’ai dit la dernière fois était amplement suffisant. N’avais-tu pas une nécessité à cette époque ? Et de l’avoir écrit a réglé les choses. Que vas-tu chercher de plus ? Tout était là pour toi. Je suis morte, laisse-moi en paix. Le souffle… S’essayer à l’écriture automatique c’est bien beau, mais tu vas y passer la nuit. Je t’ai déjà dit que nous ne sommes pas convoqués. C’est impossible de nous convoquer. Dans une réunion de médiums même, il n’est pas possible de nous convoquer. C’est le jeu, tu nais, tu meurs. Personne ne raconte d’histoire à personne, c’est comme ça, il n’y a pas d’autre issue possible. Je suis mort, il est mort, nous sommes morts, cela se dit à toutes les personnes et se conjugue à tous les temps depuis toujours. Je ne refuse pas de te parler, non, je te dis simplement que ce n’est pas nécessaire. Le mystère doit demeurer. Si ce mystère est mis à jour, c’est foutu. Il y en a beaucoup qui ont tenté de percer le mystère et sont restés une vie entière dans l’ombre de leurs morts — de leur mort — et ils sont morts et aujourd’hui, ils continuent à croire qu’ils vivent. C’est triste, je les vois se trainer comme des âmes en peine, encore une belle expression populaire qui dit tellement ce qu’elle dit. Je ne pense pas que tu m’as reconnu sinon tu grefferais encore un peu de vie à ce que je dis. Je serais, bribes, souvenirs, biographie, temps et espace, j’observe que tu ne peux rien sans ces repères du vivant. Le simple fait de ne pas savoir qui je suis — je — ton interlocuteur, sans histoire, je suis mort. Admettons que je sois vivant et que tu me croises en traversant la rue, je suis bien vivant et cependant ne trainant pas derrière moi mon histoire, c’est comme si j’étais mort. De telle sorte que, croyant vivant que tu es, en fait, tu es le mort de beaucoup de monde. Par exemple les personnes avec qui tu étais assis dans le train tout à l’heure, j’aurais pu être parmi eux, l’homme que tu regardais et qui n’a pas répondu à tes regards, il t’a laissé pour mort, ou la femme assise juste à côté de toi, elle a pris vie pour toi au moment où elle a eu besoin de la prise pour son téléphone qui était derrière ton sac, ou encore cette jeune femme qui t’a répondu bonne soirée quand tu l’as souhaité à tous, là, oui, tu as ramené à la vie. Je dirais qu’il est plus simple de faire vivre que de communiquer avec les morts. Cette dernière phrase est de toi. Elle manque d’intuition. Elle est phrase avant d’être ce qu’elle doit être. Comme je lis que tu prends le relai, il est peut-être temps de nous quitter. Je te conseille de laisser les morts et de donner vie à tout ce qui t’entoure. 

A propos de Romain Bert

J'écris pour mieux lire.

Laisser un commentaire