#anthologie #31 | Souffle

Avant de recevoir de nouveaux messages, voici ce que j’écrivais à l’été 2020. Pas tant pour lire ce que j’ai écrit mais pour moi en tant qu’auteur, convoquer à nouveau l’ombre et la passer au tamis pour en éclairer les recoins cachés. Dis-moi.

Je ne peux pas te parler. Je ne peux pas t’écrire. J’ai besoin de la matière pour ça. La porte claque, ce n’est pas moi, juste un courant d’air. Tu m’as tenu la main dans un hôpital il y’a quelques années et tu ne venais pas seulement pour m’accompagner, tu voulais aussi comprendre, voir si quelque chose, une couleur, une forme, allait se poser quelque part dans la pièce et tu n’as rien vu, tu t’attendais à quoi ? J’ai sourit, j’ai expiré longuement, et je n’ai plus inspiré. C’est tout. Il n’y a pas à chercher plus loin. Et aujourd’hui, je ne peux pas t’en dire d’avantage parce que je ne peux pas créer de son et ton oreille a la nécessité d’épaisseur pour recevoir un message. Je ne suis plus dans cette épaisseur. Déjà avant de mourir, je ne pouvais plus interagir avec le monde, mes forces s ‘amenuisaient de jour en jour et d’heure en heure, de minutes en minutes, sans le temps qu’est-ce-que je peux faire pour toi : rien. Pour en revenir à ce temps juste avant ma mort, j’ai pris soin de laisser des objets, des petites choses de rien du tout qui étaient là pour vous dans le tiroir de la table de nuit, quand vous avez trouvé une boite d’allumette, un vieil autocollant et le blason de la ville de Salvador Dali, vous vous êtes interrogé, mais il n’y avait aucun mystère à cela, je parlais déjà comme je pouvais, sans pouvoir rien dire, la matière me quittait lentement alors que d’autres en sont extirpés, vivement, sans sommation, pour moi ce fut lent et j’ai eu le temps de m’y préparer. De temps en temps, je levais les bras vers le plafond-ciel et prononçais le prénom de ma soeur, ma toute grande soeur partie avant moi, c’était parce que je n’étais plus vraiment dans ce monde de la vie depuis de longs jours et de longues nuits, je me préparais et cherchais un peu de réconfort auprès de celle qui était morte en éclaireuse dans ce territoire, alors, inconnu, ce monde de la mort je l’ai lentement pénétré par le seuil, je m’y suis aventurée, encore vivante sans fil pour retrouver la sortie. D’autres sont mort depuis le début, ont toujours été mort, pour moi, ce ne fut pas le cas, car je ne me suis pas dit : si j’avais su. Cherches dans les théories de Démocrite sur l’atome ou relis De Rerum Natura de Lucrèce, ils te feront certainement du bien, je ne les ai jamais lu, je ne savais même pas qu’ils existaient, mais toi oui, et c’est un peu grâce à moi. S’il y’avait eu un halo vert ou que sais-je sur l’armoire pour accompagner mon dernier souffle, tout aurait changer pour toi comme pour moi. Et la radio qui s’allumait toute seule chez ta mère ? La mort n’y est encore pour rien, c’est le vivant qui est incroyable. Tu voyais juste lorsqu’enfant, tu t’imaginais ce moment d’après où il n’y aurait plus rien, le noir si noir qu’il n’y a plus d’espace, le temps qui s’étire tellement qu’il n’y a plus de temps, et cela c’est l’infini. Alors, ça ne fait pas très envie, c’est angoissant même, c’est compliqué pour celui qui se projette dans la mort, mais pour celui qui y est et qui n’a plus les sens pour s’en apercevoir ? Qui suis-je, ici et maintenant ? Une ancienne de chair et d’os, qui a rendu son dernier souffle comme on dit et tu as la preuve que cette expression populaire n’est pas fausse, cette information a bien plus de valeur qu’un hypothétique halo spectral multicolore, ou qu’une poignée de porte qui tournerait toute seule, c’est un peu comme manger les pissenlits par la racine, n’est-ce-pas aussi frais, léger et tellement vrai ? Pourquoi ne pas se satisfaire de la beauté de la réalité ? La réalité de la décomposition, la beauté de la dispersion des atomes indestructibles qui nous composent créant des forêts où brame le cerf. Partout des morts, du humus. Où sommes nous depuis le temps que nous mourons, nous toutes, anciennes vies sur terre et dans les airs, et dans les mers ? Sous quelques rectangles de marbres entre quatre murs par ci par là ? Depuis des millions d’années ? Non, nous sommes une partie de la vie et il ne nous est pas nécessaire de parler au reste de la vie dans l’épaisseur de la matière, car nous, le subtil, nous sommes le souffle avec toi, à chaque instant.

A propos de Romain Bert

J'écris pour mieux lire.

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