Je suis bien là, avec la vue sur les montagnes, comme si j’avais choisi l’emplacement, mais non je vous ai laissé ce soin, je me suis contenté de choisir la corde. Je vous ai surpris vous tous, faire ça, comme ça, en terminer sans prévenir, aucun signe avant coureur. Vous m’en voulez, après ces années, vous m’en voulez encore ? Je crois que je vous ai rendu service, ma disparition vous a rapprochés, comme un silence enfin brisé, une parole rendue possible, non ? Je me trompe ? Je parlais pour ne rien dire, je ne pouvais pas le dire, l’avouer, j’ai gardé mon secret, j’ai vécu en le cachant. J’ai payé le prix, la dépression m’a accompagné au long cours. Je regrette de n’être pas né plus tard, on en aurait pas fait toute une histoire. Il n’arrivait pas à me quitter, ne voulait pas sortir de la pièce où reposait mon corps préparé pour les flammes, vous avez compris. Mon secret flottait déjà, les choses se savent dans les villages. Mes cendres dans ce cimetière, la première urne parmi les tombes, la première urne devant les montagnes. Pas de tombe pour moi, pas de curé, j’ai choisi les flammes, j’ai toujours détesté les curés, j’étais un enfant de chœur modèle, vous avez retrouvé les photos de ma communion, j’ai toujours détesté les curés. Ces longues années de pensionnat, je n’ai pas vraiment su pourquoi j’étais pensionnaire à deux pas de chez moi, j’ai toujours détesté les curés, j’ai choisi la corde. C’était assez la douleur, assez le silence, assez les mensonges et tant pis pour vous, tout ce qui se dira ne peut plus me toucher. Voyez ça comme une chance, l’occasion de libérer les mots. J’aurais aimé naître au vingt-et-unième siècle mais vous ne seriez sûrement pas là. Je n’ai pas laissé de lettre, pas donné d’explication, juste décidé et choisi le moment et la corde et rassemblé les quelques forces encore en moi pour partir. Je sais que vous avez compris.