#anthologie #31 | pas de quoi en faire une histoire

Mais pourquoi tu fais ça, tu la rabâches et rabâches mon histoire? Comme si j’avais une histoire, comme si c’était un conte de fée ou la petite fille aux allumettes ma vie? Qu’est-ce que tu crois, c’était rien d’extraordinaire ma vie. Qu’est-ce que tu t’embêtes avec ça. Faut le laisser tranquille le passé. Tu crois pas que j’allais rester clouée toute ma vie sur celle de ma grand-mère? Je l’ai même pas connu ma grand-mère, je sais même pas comment elle s’appelait ma grand mère, moi, même mon père je l’ai pas connu, et même comme ça il était déjà assez encombrant, t’embête pas ma fille avec le passé, laisse-nous tranquille nous les morts, on a fait notre vie, on a fait ce qu’on avait à faire, on s’est débrouillé comme on a pu, occupe-toi plutôt de toi, des tiens, des vivants, qu’est-ce  que tu vas t’embêter avec des morts, moi ma mère c’est quand elle était vivante que je m’en suis occupé mais après j’allais pas faire des cuentas, en reparler, ça servait plus à rien, j’allais pas pleurer tous les jours sur sa photo, ça sert à rien ça, les grandes lamentations et toutes les cuentas, je dis pas que tu fais semblant, ne me fais pas dire ce que j’ai pas dit, mais qu’est ce que tu vas t’embêter avec nous? Oublie-la cette rue. Est-ce que tu vas me le faire faire encore et encore ce trajet? Moi je m’embêtais pas tant. D’accord, certains jours c’était pas facile, mais pas de quoi en faire des histoires. Et toi qui depuis des années en remplis des pages…  J’ai pas eu besoin d’en écrire des lignes, ou d’en lire des pages, je risquais pas de toute façon, ni le temps ni l’argent, mais pourquoi faire d’abord, j’ai appris comme tout le monde, qu’est-ce que tu crois, on se débrouille dans la vie,  tu te rends compte depuis le temps, qu’est ce que tu fais coincée là, et vouloir m’y coincer? Ma mère je l’ai laissée tranquille, quand elle est morte elle est morte, je suis pas allée l’emmerder, même quand elle a voulu me raconter quelques jours avant sa mort, Francoise, elle m’a dit, j’ai quelque chose à te dire, j’ai bien compris de qui elle parlait, je veux rien savoir je lui ai dit. Et j’ai rien su. Ça sert à rien de remuer la mierda, ça sert à rien. T’imagines si j’avais dû rester coincée sur mon passé? C’est pas possible ça. Alors arrête. C’est pas moi que tu racontes. C’est gentil d’accord, mais c’est pas ça que tu dois faire, c’est pas ça la vie, c’est pas regarder en arrière. Allez anda, occupe-toi de ton mari et de tes enfants et fiche-moi le camp d’ici. 

Qu’est-ce que tu veux encore? Tu crois que tu fais attention toi quand tu mets des bagues ou que tu te maquilles, c’est rien ça, pas de quoi en faire un fromage, c’était pareil pour moi, et une gaine, on en mettait toutes des gaines, et de la laque et tout le toin-toin. Profite plutôt, tu verras, ça passe vite, moi j’ai fait ce que j’ai voulu, Jojo  c’était un brave homme il m’a laissé faire, c’est moi qui m’occupais des pépettes, c’est moi qui m’occupais de bien vous faire manger, lui il lui suffisait d’avoir son paquet de gris et de pouvoir aller aux boules et il était content, moi je lui foutais la paix, tu te souviens comment il était, c’était pas un emmerdeur Jojo, ça non. 

Tu m’obliges à lire depuis des années, moi j’avais pas l’habitude, j’ai pas été longtemps à l’école, j’ai eu mon certificat d’étude, j’étais pas une boule mais je me débrouillais pas mal, faut pas croire, mais ma mère elle pouvait pas me laisser davantage à l’école, et puis c’était comme ça, il y avait que les enfants de bourges qui allaient à l’école, les richards, on n’était pas des Marie-Chantal nous, mais j’étais pas bête faut pas croire, enfin quoi je te lis, mais tu racontes pas que j’ai travaillé, j’ai fait des paniers avec ta tante, on a même tenu un étal aux halles, et puis après j’ai été cuisinière, à te lire on dirait que j’ai jamais travaillé, et l’hôtel, je savais pas que tu dormais pas, et tu dis pas  quel hôtel c’était, tu te rappelles pas, c’était l’hôtel d’Angleterre, je me mouchais pas avec le dos de la cuillère quand on y allait à Lourdes, il était bien cet hôtel, tu te souviens, mais c’est vrai que j’y pensais pas que tu pouvais me regarder dormir, t’es un peu bizarre quand même, peut-être qu’on est pas pareil en fait, c’est peut être une question d’époque, mais moi j’ai pu dormir avec ma mère ça m’a pas affolée, bon avec ma grand-mère je peux pas dire, je l’ai pas connue, c’est vrai qu’avec une vieja c’est pas pareil, mais sois tranquille je ronfle plus aujourd’hui et j’ai plus de charreton à pousser, y a que toi qui es encore a le pousser ce charreton, t’es seule à le pousser, faut pas croire, faudrais que t’arrêtes ma petite, tu vas pas le pousser toute ta vie quand même?

A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...