#anthologie #31| De l’infini

Je t’ai vue hier soir ! Tu appelles le Ciel ! Pas facile de choisir entre Ciel et Terre. Se faire brûler ou se faire enterrer. Je sais les questions que tu te poses. T’inquiète. Tout finit par se mélanger le Ciel et la Terre. Donc crois moi pas la peine de te tracasser, une fois mort on est propulsé dans l’infini. C’est pas si mal. En tout cas moi j’ai été enterré ! Je n’ai pas été brûlé. Joséphine m’a fait enterrer. Mais bien sûr pas dans la tombe que j’avais préparée pour moi et ma première épouse adorée Isidorine morte si jeune à Los Angeles. Mon chagrin était immense. Tu l’as vue cette stèle avec nos deux mains réunies, Isidorine et Peter. Je pensais bien la rejoindre un jour dans ce cimetière de Prescott en Arizona. Le destin en a décidé autrement. Trop de Whisky un soir dans mon saloon avec les cow-boys, le corps avenant de Joséphine, et me voilà marié une seconde fois. Une femme à la maison pour un homme seul avec un saloon à s’occuper, finalement je n’ai pas regretté. C’était déjà mon deuxième saloon, le premier avait brûlé lors d’un gigantesque incendie dans cette ville de Prescott. Il avait fallu tout recommencer, mais les affaires marchaient bien. Entre parenthèses tu as vu il est chouette ce saloon, même si maintenant ils l’ont aménagé en boutique de vêtements, il reste reconnaissable. Donc pour en revenir à ma mort, un soir, je me suis écroulé d’un coup en allant donner à manger aux poules. Crise cardiaque. Oui, je sais que tu le sais et je sais aussi que tu t’es dit — ça la fout mal pour un chercheur d’or de mourir en allant au poulailler — OK ! mais tu sais bien aussi qu’il y a La poule aux œufs d’or. Tu vois il est toujours question d’or. Et d’ailleurs, je me demande encore ce qu’elle en a fait Joséphine de notre poule aux œufs d’or. La lettre du notaire du consulat tu l’as lue ! Joséphine, seule héritière ! Pas d’enfant avec Joséphine, pas d’enfant avec Isidorine. Non, je n’étais pas stérile. Je peux bien te le dire à toi qui appelles les cieux. J’ai eu un fils Hubert. Le soir où j’ai eu ma crise cardiaque, j’avais dans la journée reçu la visite au saloon d’un jeune homme qui se prétendait être mon fils. Le fait est qu’il me ressemblait. J’avais eu une aventure, à l’époque de mon commerce de chevaux entre l’Argentine et le Chili, avec une jeune femme qui parlait français. La langue maternelle attire. D’après Hubert, et ce que lui avait dit sa mère qui venait de mourir, il y avait vraisemblance des faits. En même temps tu te doutes bien que j’avais eu d’autres aventures d’un soir. Les cow-boys, ça se lave à la cow-boy et ça fait l’amour à la cow-boy, vite fait, bien fait et hop à dos de cheval à la conquête de l’Ouest. Oui, c’était ça ma vie à l’époque. La belle époque. Mon fils dans mon saloon ! Il parlait français ! Quelle émotion ! Le soir même mon cœur cède. Heureusement je ne ne l’ai pas abandonné. Je te le dis, ce n’est pas parce qu’on est mort qu’on abandonne les vivants. Je te le dis vraiment. J’ai suivi Hubert du haut de mon observatoire de l’infini. Hubert qui revenu le lendemain au saloon pensant m’y trouver, apprend ma mort, la mort de son père un jour après l’avoir retrouvé. Il est reparti dans la famille de sa mère. Oui, bien sûr, tu ignorais tout de cette histoire. Tu te demandes pourquoi il n’a pas cherché à connaître les origines de sa famille paternelle. Nous n’avions pas eu le temps d’en parler et je crois qu’il a eu peur de faire mourir quelqu’un d’autre. Tu le vois annoncer à mon frère et à ma sœur — Je suis votre neveu, le fils illégitime de votre frère Pierre-Peter le chercheur d’or, celui qui est parti, qui vous a laissés seuls avec votre mère veuve — tu le sais bien toi que je suis parti sans même leur dire au revoir, sans même les embrasser. J’avais 18 ans, aîné de la famille, mon père était décédé, et je les ai laissés seuls, ma petite sœur de 9 ans, mon frère de 15 ans et ma pauvre mère. Je ne suis jamais revenu. Je ne les ai jamais revus. Oui, c’est vrai que nous avons échangé quelques courriers, tu en as lu certains. C’est ainsi que j’ai appris la mort de ma mère et ils ont appris ma mort par une lettre de Joséphine. Non, non pour Hubert c’était impossible d’aller à la recherche de cette famille. Je sais qu’il s’est marié, qu’il a eu des enfants. Je vois tout cela de mon observatoire. Un avantage certain d’être mort : voir sans être vu ! Non, non, je ne m’ennuie pas. Je suis bien occupé avec tous mes vivants à aimer et à conseiller. Je n’arrête pas d’être sollicité. Se faire brûler, se faire enterrer ? Ils ne savent plus sur quel pied danser !

A propos de Marie Moscardini

«Après une formation à Aleph en 2014, j'anime des ateliers d'écriture dans une petite ville de Saône et Loire.» Voir son site Nouvelles à écrire.

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