#anthologie #31 | Les morts qui parlent

Au début de ce tournage, j’étais allée en pèlerinage au cimetière des Cappuccini, un lieu où je ne vais jamais, où se trouve mon père, mort il y a 28 ans. Un couple de gens âgés me dit que les morts, ‘votre père aussi’ m’assurent-ils  se mettrons à macher d’un coup vers le lieu fatal ou le Jugement, ils entendent le Jugement Universel aura lieu. Tous ces morts – disent- ils – auront besoin de bonnes chaussures. Tous ces ossements – que des ossements pas de chère, me dit la dame, pour monter au ciel – d’un coup se transformeraient en scheletres grâce à des fils de fers reliant une clavicule à l’autre et ainsi de suite comme dans ceux de l’opéra dei pupi !  

Seba se chargera de la mise au point du son de ‘morire a palerme’. Il y a du travail me dit-il, il faudra ‘faire ressurgir les voix de la rue, les bruits enfuis des feuilles qui grincent au cimetière, il faudra parfois réinventer réel ! Je pense à cet homme en moto qui avait surgi à Danisinni. Au montage on s’était demandé pourquoi sa moto était restée silencieuse avant que je ne me rappelle qu’elle était électrique comme désormais la plus-part dans le quartier ! Pourtant, trouvant le bruit du scooter rassurant, on décide au mixage, de le reproduire en le piquant sur internet! Nous détournons parfois le réel qui nous parait parfois irréel.

Seba me dit qu’il n’a pas aimé quand au montage j’ai fait le choix de passer de la couleur au noir et blanc quand je reviens sur l’image des cabanons du cimetière avec tous ces morts pas encore ensevelis, empilés sur des échafaudages de fortune. Tu t’éloignes du présent et de la réalité.  Tu glisses dans un au-delà étrange me dit Seba et ajoute :  ‘ce n’est pourtant pas un film de fantômes ! 

Je vois mon père Antonio se promener dans les rues vides de Palerme avec ma mère devant, lui derrière. Ma mère veut lui acheter une veste.  Elle lui dit : ‘regarde cette veste. Sort de ta torpeur.’ Lui flâne, reste songeur.  Nous sommes au mois de juillet et il fait chaud. Je ressens la chaleur et je vois la scène en noir et blanc. Le noir et blanc, le passé, l’irréel, l’eau-delà… Puis il se tourne et me dit : ‘allons manger la glace à la pastèque, Caterina’ ?  Bar Alba, pas du parc de la Favorita. Je nous commande deux glaces rouges rosées aux pépites de chocolat. Mon père le fantôme m’apparait toujours en noir et blanc en train de gouter sa dernière glace, un concentré d’amour au melon d’eau.  

Les morts ne sont pas visibles (les sarcofages nous empêchent de voir l’inommable) mais la mauvaise odeur est une fenêtre sur un au-delà qui dérange, que personne à envie de voir. 

Après une virée en ville, le film revient autrement dans ce couloir de l’émergence au cimetière. La musique de Tarantino annonce le changement de perspective en noir et blanc. Un possible virement vers le film d’enquête avec ma voix off qui dit le dégout que nous éprouvons, le gouffre entre les morts et les vivants que nous sommes. A ce moment là nous voudrions nous échapper. Je retiens l’air dans mon corps, je m’empêche de respirer. Si je ne laisse pas cette odeur me pénétrer, je n’accepte pas la situation. Si j’utilise le noir et blanc, je pointe cette normalité anormale. 

La caméra repasse du noir et blanc à la couleur alors qu’un enfant dit ‘mi sono abituato alla puzza’. Ici, malgré l’émergence, les vivants portent toujours les fleurs à leurs morts. 

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