#anthologie #31 | la voisine du dessous


#23 – J’ai cessé de l’appeler le Bruno. Il doit être bien content maintenant de ne plus être emmerdé par mes cris à travers l’appartement, à travers l’immeuble, à travers la nuit, depuis mon lit, toute seule. J’étais toute seule, complètement abandonnée la nuit. Bien sûr que je criais. J’avais l’impression d’être morte. Morte pour eux, pour toujours, à jamais clouer dans le lit avec mes deux jambes si lourdes, morte et seule. Je comprends maintenant pourquoi il me laissait crier son nom seule dans la nuit clouée dans mon lit. Il ne voulait pas m’entendre. Il m’avait trop entendue. Il m’a toujours vu comme son devoir. Le pire devoir du fils qui achète un appartement dans le même immeuble que sa mère. Vraiment, j’aurais préféré qu’il ne l’achète pas, son appartement à deux étages en dessous du mien. Je préférais Sora, l’aide soignante. Elle avait les mains douces. Elle ne faisait pas semblant, elle, elle ne prétendait pas que je comprenais. Je ne comprenais rien. Et lui il croyait que j’avais toute ma tête. M’avait-il bien regardé ? Il ne me regardait plus dans les yeux depuis longtemps. Quand il entrait dans la chambre, j’arrêtais d’hurler. Pour lui faire plaisir. Il a ce pas très caractéristique, le pied droit un peu traînant. Je l’entendais venir. Il mettait toujours du temps à venir, même quand j’entendais la télévision dans le salon. Il me laissait hurler son nom à plein poumon. Il me laissait hurler. J’en ai encore plein les oreilles de mon propre cri clouée dans mon lit. Parfois ce n’est pas lui que j’appelais, mais elle, Sora. Il n’aimait pas ça. Je le sais maintenant qu’il n’aimait pas ça. Sora aux mains douces. Quand ils m’ont mise à l’hôpital et que l’hôpital a voulu me garder, ils ont dû soupirer d’aise. On leur enlevait la lourde responsabilité de savoir ce qu’ils allaient faire de moi. Je ne criais plus dans la nuit. Je savais bien que j’étais abandonnée dans le lit, clouée dans le lit.

Laisser un commentaire