Docteur, je te sais très occupé à ne pas mourir, tu le seras jusqu’à ce qu’un autre te remplace. Peut-être, alors, tu me verras. J’ai mille questions, mille questions. Tandis que tu te retrouves encore à habiter les livres, les lieux, les vivants, je circule à peine dans les trous, dans tes rêves, dans ce texte. Regarde-moi, je suis avec toi depuis cet après-midi pluvieux de novembre. Je suis Auguste. Ton nom a pris ma maladie, ma maladie a pris ton nom, l’Oubli lui-même a désormais ton nom. Regarde-moi. Ta masse rose pour toujours dans ma viande. Ton sourire pendant que tu découpes ma peau. Ton sourire dans mon crâne. Pour la première fois, tiens, je t’offre mon sourire. Regarde-le, Docteur. Je le fais très grand pour qu’il te fasse mal. Je le fais sans dents. Je le fais noir et hurlant. Cette figure de cauchemar est absurde, je sais, c’est elle qui la fabrique. Regarde-là, elle me fait monstre avec des mots français. Je ne sais pas pourquoi j’ai accepté, mais maintenant que j’habite sa bouche, je vais la remuer jusqu’à ce qu’elle m’entende. Son ouïe est faible. Elle ne sait rien de la salle blanche où tu me retenais, de ma mort que tu attendais en me retenant, de ton art d’ouvrir les chairs vivantes. Elle ne sait rien de ce genre d’enfer. Je te parle, Aloïs, pour que, déjà, tu regardes ton ombre, que j’agite depuis cent ans.
Dans l’inquiétude qu’il suscite, avec des éléments familiers qu’il déplace, ce texte est terriblement happant. Merci Lisa.
superbe (et troublant) !