Je voulais vivre pour mourir. Aller au bout de mes désirs de destruction, au bout du bout de mes transgressions, au bout de la mise en miettes du vernis qui me faisait tenir debout. Je voulais m’écrouler lamentablement et de mon propre gré. Je voulais pouvoir choisir la jouissance d’une chute aux enfers, la mienne. C’est ainsi que tu as expliqué, que tu as imaginé les raisons de ma déchéance. Tu l’as écrit. Elle te gênait, je te gênais. Il est difficile de s’encombrer d’un personnage au caractère aussi éloigné du sien. Et tout était de mon fait, de ma volonté. Mais l’enfer n’est pas là. Maintenant je peux te le dire, tu ne pourras pas me jeter hors du ring qui est ma vie. L’enfer n’est pas dans les désirs, dans leur accomplissement foireux ou dans leur abandon. Il est dans les interstices qui s’ouvrent et se referment comme des plaies au gré du récit de ma vie. Des blessures que, muet, je subissais, des coups du sort que, insensible, j’encaissais, des déchirures que, sourd, je supportais. Au nom du mérite ! Et je te voyais écrire le mot jouissance là où celui d’impuissance s’imposait. Mon seul recours était d’être vivant malgré toi, un personnage persistant. Regarde-moi ! Tu ne vois de moi que cette histoire que tu essaies désespérément d’écrire, tu n’écoutes pas les mots que je t’ai toujours murmuré ou crié, tu n’as jamais voulu que je te touche, ce n’est pas toi qui m’as donné le biberon, ce n’est pas toi qui m’as bercé… mais non ! Il y a une femme dans tes écrits qui est ma mère et je ne l’aime pas non plus. Mais n’aie crainte ! Je ne vais pas faire la liste de mes griefs parce que ce que j’ai connu, je ne le regrette pas. Et maintenant que je suis un rôdeur incolore et inodore, que je me laisse porter par les courants d’air autour de ton corps, de ta plume, que je t’observe et te frôle, j’espère que, dans tes rêves, tu pourras m’entendre rire.