#anthologie #31 | Guérir on ne peut pas

Guérir on ne peut pas. Les druides, tous, ils l’ont dit, et l’espèce de charlatan même, celui qui est venu avec les marchands du sud. Je boiterai toujours. Ça fait mal, parfois, surtout les soirs de sacrifice, quand on tourne et qu’on tourne et moi, la fille du chef, à régner la promise, la première je dois tourner, et ne pas m’arrêter autour des pierres sacrées, les images des dieux qui n’ont pas d’image, autour du chêne racine, du chêne voûte céleste. Changer, est-ce qu’on peut ? Racine jamais je ne serai, de pierre ils me feront un beau mausolée, grand, loin dans la plaine on le verra, et ceux qui remonteront le fleuve. De lierre je voudrais être. Monter sur le tumulus quand mon corps sera dessous, pour voir encore les méandre de Seine, et les marchands puants qui portent des merveilles depuis rives lointaines. Peur j’ai de mourir. Je me tais. Je ris. Les chevaux à eux seuls me confie. Mes chevaux. Mon père rit avec moi. Parler il ne peut pas. Il rit. Sa voix rit. À chanter il m’invite, me versant l’hydromel dans la coupe que j’aime, celle qui vient du sud, avec la frise des guerriers, de profil, en noir sur fond de brique, et la boisson des fêtes, qui a la couleur du sang des chevaux. Ses yeux seuls sont tristes. Il me regarde entière. Entière je me tais. Je souris. Nous savons.

A propos de Laure Humbel

Site internet : Sur mes tablettes, laurehumbel.fr. Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. «Ton Nombril» et «BigBang» (Toutàlheure, 2023 et 2024, illustrations de Luce Fusciardi) sont des albums pour les tout-petits qui forment un diptyque sur le thème de l'origine.

7 commentaires à propos de “#anthologie #31 | Guérir on ne peut pas”

  1. Oh j’aime beaucoup. Il y a la matière de la terre dans ce récit (souvenir) d’une morte, et des parfums, et des couleurs, et des sons, et des lieux, et beaucoup de douceur merci

  2. (moi aussi j’ai toujours dans l’idée de donner une voix à ces oubliées des récits de l’Histoire…)

  3. J’adore (certainement pas le mot idoine ici, mais …) cette histoire de druidesse (marseillaise ?) et le ton de sa voix.

    • Merci Bernard, elle n’est pas marseillaise, c’est toujours ma princesse gauloise des sources de la Seine que j’essaie de ne pas trop laisser enterrée au fond du manuscrit toujours en cours.