#anthologie #31 | Faire parler les morts

Dites-moi, pourquoi vous vous mettez à parler, maintenant que vous êtes morts ?

Probablement parce qu’on ne nous donnait pas souvent la parole quand nous étions en vie.

Comment vous appelez-vous ?

Ça, on ne le sait pas très bien. En arrivant ici, on a changé nos noms. Le mien est Sel à présent.

Très bien, Sel. Que faisiez-vous sur la terre ?

Difficile à dire. Où nous sommes maintenant, on n’a droit qu’à un seul souvenir de notre vie passée. Le mien c’est un arbre.

Un arbre particulier ?

Oui, très particulier. Il avait une forme bizarre. Biscornue. Les branches formaient une espèce de fourche, très pratique pour y lancer une corde.

Ah ! C’est-à-dire que vous êtes mort pendu.

Exactement.

Pour une raison spécifique ?

Pas très. Enfin, je ne crois pas. C’était parce que l’idée m’attirait, tout compte fait.

Et que faites-vous, maintenant, dans cet endroit ?

On nous a demandé d’attendre.

Quelque chose de précis ?

Non. Juste attendre.

Que faites-vous pour passer le temps ?

Rien. On demeure.

Vous parlez entre vous ?

Ah, oui, beaucoup. On ne fait que cela.

De quoi, exactement ?

On dit des mots. Ils nous sortent par la gorge. C’est plus fort que nous. Par exemple, Viac, là-bas, il ne parle que de souris et de verres de lait. Moi, j’aime surtout prononcer les mots vaillant, vallée et vacarme. Je crois que je suis mieux compris quand je les dis.

Tous commencent par la même lettre, un V. Une raison particulière ?

Non, je crois que c’est surtout pour être aimable. Viac aime aussi les noms en V.

Vous recevez des visites ? On vient vous tenir au courant ?

De quoi ?

Je ne sais pas, de votre retour, de votre départ pour un autre lieu.

Oh, non ! Ils viennent surtout nous encourager. Enfin, nous dire que tout va bien et que nous sommes sur la bonne voie. C’est très réconfortant. 

Sentez-vous le froid, la peur, la faim ?

Ce sont des beaux mots. Mais, en fait, que faites-vous ici ? Etes-vous un l’un de nous ?

Je ne peux pas vous dire.

Très bien. C’est toujours comme ça qu’il faut répondre.

A propos de Helena Barroso

Je vis à Lisbonne, mais il est peut-être temps de partir à nouveau et d'aller découvrir d'autres parages. Je suis professeure depuis près de trente ans, si bien que je commence à penser qu'autre chose serait une bonne chose à faire. Je peux dire que déménagement me définirait plutôt bien.

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